Argumentaire N°1 du Projet
Pr. Mohamed ZINELABIDINE
Directeur de la Culture et de la Communication/ ICESCO
Notre monde actuel oscille et abonde, hélas, entre des supposés contraires, voire antinomiques. Choc et/ou dialogue, alliance et/ou défiance, monde judéo-chrétien et/ou monde musulman, tradition et /ou modernité, progrès et/ou regrets, modernité et/ou postmodernité, ruptures et/ou continuités, devoir et /ou intérêt des Etats, Orient et/ou Occident... Il est un fait saillant, il y a trop d’oppositions et de confrontations qui secouent notre réalité, elles sont d’un ordre éminemment politique. Il en est une particulièrement insistante, à savoir celle qui relève de la suspicion vis-vis de l’Islam et des Musulmans. Ce qui devient un conditionnement, voire un substrat intentionnel que certains faits justifient et d’autres infirment. Il est donc établi que l’ICESCO, en tant qu’Organisation internationale relevant du monde de l’Islam et des Musulmans, se référant à l’Education, la Science et la Culture, veuille creuser la réflexion et l’interprétation sur les raisons et déraisons récurrentes à de tels faits.
En premier lieu, alors que les pays musulmans riches ne peuvent surseoir au renforcement du croît économique et scientifique des pays occidentaux les plus développés, ces derniers crient au choc des civilisations qui serait dû, en grande partie, selon eux, à l’islamisme réactionnaire et réfractaire. Y a-t-il déjà ambiguïté, confusion ou intention délibérée de noyer l’Islam dans l’Islamisme et d’en faire cette image réductrice et rédhibitoire assimilée au fanatisme et au terrorisme ?
En deuxième lieu, l’Occident s’en méfierait, après l’avoir expérimenté, redouté, et parfois encouragé, pour et par la portée revendicatrice de ses actes politiques, ses organisations militaires et son engagement sur le terrain.
En troisième lieu, faudrait-il différencier distinctement l’Islam culturel, civilisationnel de son acception politique, prolifique et stratégique ; sujet de nombreuses lectures et interprétations de l’histoire. Cela vaut pour autant aux deux autres religions monothéistes, Judaïté et Chrétienté, où il revient de nuancer différents niveaux d’analyse spirituelle et politique. C’est pourquoi condamner le monde musulman au regard des fractions extrémistes religieuses minoritaires qui s’en prévalent des fois est un tant soit peu réducteur de sa portée plurielle, culturelle et intellectuelle largement plus importante.
En quatrième lieu, en a-t-on bien saisi, compris et interprété autant la culture que la civilisation, la psychologie, les valeurs fondatrices, sans préjugé ni caricature ? Ou les a-t-on cernées selon des critères d’analyse extrinsèques, détournés de leurs éléments véhiculaires ? Une question pour le moins persistante : a-t-on vraiment compris l’Islam en dehors et au-delà des idées de l’orientalisme et de l’exotisme ou de la barbarie qu’il finit immanquablement par susciter ? Je m’interroge, au risque encouru de voir l’Occident autant que les Occidentaux résolument décidés à considérer que l’Islam autant que les Musulmans leur sont totalement différents, donc hostiles, ce qui suppose un problème de lexique civilisationnel et culturel qu’il s’agit de réinventer comme une nouvelle herméneutique d’interprétation des codes et des usages en place.
En cinquième lieu, faudra-t-il circonscrire ce qui relève de l’arabité et de l’Islam, mêlés, il faut bien dire, pour un certain entendement géopolitique à des significations qui ne les nuancent que très peu. L’Islam s’est étendu en réalité du Golfe arabo-persique à l’Atlantique, de l’Océan indien au Caucase et en Asie centrale pour s’étendre vers l’Occident jusqu’à l’Europe de l’Est et de l’Ouest. Le choc est donc d’un intérêt géostratégique, en plus de sa nature idéelle et culturelle, il entend prévoir les thèses à même de menacer l’ordre politique mondial, sa réserve et son action. Toutes les idées réfractaires seront jugées ou préjugées, ne s’accommodant guère du prédit ordre globalisant. Même si cet ordre se veut parfois ardemment au bénéfice de ce qui lui reviendrait de force, il ne nous revient pas ici de porter des jugements et d’en dresser un bilan. Encore moins de déplorer des pages conflictuelles de l’histoire brumeuse de ces mondes. Mais simplement de revenir sur la thèse du conflit des civilisations de la fin du XXè.s pour désigner l’Islam comme étant au cœur de tous les maux dont serait victime l’Occident. C’est Ali Abderraziq qui rappelle que le monde de l’Islam recouvre en fait une réalité historique et géographique beaucoup plus vaste que le monde arabe. Celle-ci ne s’apparente pas seulement à l’Islam. L’Islam intègre des pays où l’arabe n’est pas pratiqué, en Malaisie, Indonésie, Inde, Pakistan, certains pays de l’ex-URSS... Encore faut-il donc élucider ces prises de position, remonter aux sources de ce conflit double d’intérêt et de culture. Et tenter d’approcher – en dépit de la grande difficulté de ce faire - les mobiles d’un problème persistant, avec le moins de ferveur. Ce qu’on peut retrouver entre autres contributions dans plusieurs ouvrages et documents bibliographiques dont « L’Islam au temps du monde », de Jacques Berque, «L’Islam moral et politique» de Mohamed Arkoun, Henri Corbin et « Histoire de la pensée islamique », Hanna Fakhouri dans « Târîkh al-falsafa al-‘arabiyya » (Histoire de la philosophie arabe) ou Brahim Maqdour, traitant de « L’organon d’Aristote dans le monde arabe », pour une liste bien plus longue et pas assez exhaustive. Ce qui frappe dans cette liste, c’est la contradiction des thèses, la perplexité des faits, leur antinomie, rapportées au particularisme du monde arabo-musulman, relativement à ce qu’il compte comme identitéset psychologies distinctives, non assimilables, car différentes des repères de la personnalité et de la cultures occidentales. Autant de revers qui risquent de rendre complexe l’entendement de ces mondes.
En sixième lieu, le monde de l’Islam est-il capable d’intégrer les valeurs de la modernité, sans renoncer à ses particularités culturelles propres ? Est-il à même de développer et de faire évoluer ses immuables représentations de la société et des codes qui les régissent, selon ceux d’un droit universel, prônant des valeurs humaines ? Enfin, quelle notion de « Liberté » dans l’Islam au regard de son histoire ? Cette dernière pourrait-elle devenir en phase avec l’esprit du temps moderne, pour un Zeitgeist évolutif et plus adapté ?
« ICESCO INTERNATIONAL THINK THANK, LA CULTURE POUR REPENSER LE MONDE » est ainsi un cadre réflexif pour repenser ce monde multiple et recomposé des idées, des réalités par de nouvelles acceptions et valeurs. Celles d’une humanité respectueuse de sa diversité, de sa justice et de son égalité. Une Culture qui agit non point pour «la» mondialisation, «l’» homogénéisation, « la » standardisation, « la » modélisation, « la » banalisation, mais celle qui incarnerait plutôt «des» mondialisations, « des» références, «des» identités, «des» personnalités. Une culture de l’inclusion, contre toutes formes d’injustice, de discrimination et de précarisation. Une Culture de véritable partage pour un monde de paix et de liberté durables.