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Introduction de l’ouvrage « Secrets du Harem » Naïma Berrada Guennoun.

Writer: Naïma Berrada GuennounNaïma Berrada Guennoun

Naïma Berrada Guennoun






Mme Naïma Berrada Guennoun


Haut cadre bancaire,

Auteur de "Si les murs de Fès pouvaient parler"






Chaque fois que je défendais mes droits avec véhémence, mon papa répétait une phrase lapidaire qui m'avait toujours interpellée. Il la prononçait de manière espiègle qui ne pouvait que demeurer ancrée dans mes souvenirs : « Tu ressembles bien à ta grand-mère Lalla Malika et à ta maman. Tu t'es inscrite dans leur lignée ». Pour comprendre ses insinuations, il m!eut fallu du temps. Si je connaissais bien ma chère maman, en revanche je ne prêtais attention qu’à la bienveillance de ma mamie.

C’était là une occasion pour observer ses faits et gestes et me coller encore plus à ses jupons. J'aimais aller chez elle tout simplement parce que sa maison était constamment animée et qu'elle avait toujours une friandise ou un biscuit caché à m'offrir. J'accourais chez elle aussi parce qu'elle me racontait avec moult détails, le vie dans le harem de son enfance, son mariage arrangé et précoce, ses impressionnants souvenirs de voyages et son long séjour à Rabat durant cinq années consécutives loin de sa maman. Ma chère mamie fut sereine, bien que quelques détracteurs la considèrent comme une aristocrate gâtée et hors normes.

Ce furent des attaques récurrentes.

C'est à partir de ces mots et d'une photo d'elle toute petite à Rabat, datant de 1905 que je me suis permis d'interroger sa riche vie et ses exploits. Ma perspective vise à présenter la façon de voir le monde, de son point de vue personnel et de celui des personnages qu’elle fréquentait.

Ce fut une période particulière de l’Histoire Nationale et Internationale. Et plusieurs personnages qu’elle avait côtoyés furent de grands acteurs connus ou de l’ombre.

Son papa, ses épouses et ses concubines n’auraient jamais connu un parcours plein d’aventures et de souffrances, s’ils étaient restés dans leur harem.

Ainsi cet ouvrage se veut être un dialogue entre plusieurs générations et souhaite mettre en relief les retombées de cette période de transition nationale sur les plans individuel et collectif.


Mieux informée par une documentation et des témoignages, je me suis posée la question de savoir : « Est-ce qu'une femme revendicatrice et émancipée peut-elle avoir de l'influence sur son entourage et participer à un changement au sein de la société ?

Ce qui était certain fut qu'elle dérangeait, les tenants aux us et coutumes.Comme elle était native à la fin du dix-neuvième siècle, on peut se demander qui avait façonné sa personnalité.

Elle était issue d'un milieu aristocratique où la discipline et la rigueur étaient le mot d'ordre. Et sa maman Lalla Saadia fut la gardienne du temple, très attachée à certaines traditions, même aux dépens de son épanouissement personnel.

Les deux femmes formaient un pont entre deux générations. Cette confrontation entre elles allait constituer pour ma prospection un échange d'apprentissage et de réflexions. Puis après son mariage une autre dualité se présenta entre elle et sa belle-famille. Ses deux familles furent tiraillées entre la modernité et le traditionalisme. Et l'héroïne de l'ombre, Lalla était engagée et intransigeante sur la reconnaissance de ses droits. Un parcours de combattante, rappelant le Mythe de Sisyphe.

Grand-mère pensait et avait une vision différente des choses. Elle portait d'autres lunettes. Ce qui s'expliquait par son grand parcours.


Par la suite les relations avec mes grands-parents avaient inauguré des échanges spécifiques. Leur vie et leurs récits ainsi que ceux de mes parents avaient certes influencé et laissé des empreintes sur ma vision de mon propre avenir. Mais puisque chacun choisit son propre cheminement, le mien a pris une nouvelle forme. Certes le socle des racines profondes

persiste, mais bien façonné par d!autres éléments.


J'ai tenté d'analyser dans cet ouvrage, les raisons profondes de l’évolution de la famille de Lalla Malika, vers la modernité tout en respectant les traditions ainsi que les pressions subies et ce dans un contexte des plus difficiles de notre Histoire Nationale.


Dans un monde en perpétuelles transformations, l'obstination de certains à ne pas y adhérer sollicite à elle seule une étude plus approfondie.


Ma grand-mère souhaitait être Moulate Dar, la maîtresse de maison, au sens profond du terme. Le Pater familias, mon grand-père allait-il finir par lui céder la place ?

Ce fut une époque magnifique malgré les aléas de la vie. Je voudrais la remercier à titre posthume car j'avais appris la discipline et le respect des autres qui étaient de rigueur chez elle. J'ai découvert l'importance qu'elle accordait à l’épanouissement personnel et aux droits des femmes. Mes grands-parents savaient gentiment marquer des limites aussi bien pour leurs enfants que pour leur entourage qui n'avaient que le choix de les respecter.

Je voudrais vous présenter les lieux où grand-mère Lalla Malika avait évolué à Fès et à Rabat. Si l'adresse de son papa à Rabat était incomplète puisque mamie se contenta de préciser : « Une parallèle à la célèbre Rue des Consuls ; ce fut une vie très riche en événements familiaux et historiques ».


Cependant, je connais parfaitement le harem de mon arrière-grand-père maternel, Ssi Allal. Sa visite fut pour la première fois à partir d!une vue panoramique de la ville de Fès, effectuée avec le premier guide de ma vie: mon papa. Nous l’eûmes entamé à partir des décombres de la dynastie des Mérinides, connue notamment par son grand empire et ses somptueuses Médersas, qui raisonnaient par l’enseignement des Lettres et des savoirs.

Comme mon papa était féru d'histoires de familles et adorait ses belles-mères, il eut pris soin de m'indiquer : « Ici c'est la maison de tes grands-parents maternels. C'est facile de mettre le doigt dessus puisque leur maison est non loin de Bab Al Guissa. Un peu plus loin du côté de la Mosquée de la Qaraouiyine se situe le Harem de Ssi Allal AL Amine, ton arrière-grand-père ».

Je tenais à repérer son prestigieux et exceptionnel harem parce que sa femme, mon arrière grand-mère Lalla Saadia en était son intendante, durant des années en raison des absences de son mari, haut fonctionnaire de l’État qui sillonnait l'Empire du Maroc avec le Sultan, les ministres des Finances, de la guerre, les cadis, les caïds…

Ssi Allal put développer un réseau d'influences varié grâce à une compétence linguistique en Arabe et en Français rehaussée par une solide formation spirituelle et culturelle.


Notre pays était à cette époque un État structuré et une grande Nation, dont les frontières s’étendaient jusqu'au nord du Sénégal et du Mali avant la signature du traité du protectorat par le Sultan Moulay Abdelhafid en1912.


Ma grand-mère s'en donnait à cœur joie pour parler du maître du harem, son papa. Elle n’évoquait en général que sa chance de parcourir quelques villes et de séjourner presque cinq années consécutives à Rabat de quoi remplir un prolifère journal intime.

Mais lorsqu'il s'agissait de ses relations avec ses femmes, elle observait un silence total. Ma tante cadette qui était la plus instruite de la maison ne manqua pas de la déranger en nous disant : « Ma maman a hérité le devoir de réserve auquel était tenu son papa en tant qu'homme d’État ».

En fait, Lalla ne voulait toujours évoquer en présence de ses petits-enfants ni les grandes adversités de sa vie ni les critiques acerbes subies par elle-même et à l'encontre de son papa. Elle refusait d’être toxique ou d’être intrusive avec ses filles.

Mais en tant que témoin, elle livrait des faits curieux et intéressants sur la constitution d'une certaine élite de Fès rarement relatée, dans les livres ou les récits de voyage. De leur côté, deux de mes jeunes tantes, à la différence des autres faisaient des révélations incroyables sur les conditions des esclaves et de la polygamie.

Cela n'empêcha pas Lalla d!avoir un sens profond, lorsqu'elle voulait raconter quelques aspects de ses expériences vécues, mêlées de joie, de tristesse ou de deuil.

Ma mère hérita la force de caractère de sa maman.


J'avais toujours porté pour ma famille un amour inconditionnel, ce qui était réciproque. Mais j’étais sceptique pendant un certain temps envers mon arrière-grand-père Ssi Allal. Certains de ses détracteurs colportaient des propos diffamatoires à son encontre depuis son retrait de la scène politique.

D'autres ne tarissaient pas de compliments sur lui. Comme les avis étaient mitigés, j'ai cherché à atteindre une certaine vérité.

Si on rebondissait sur sa vie publique ou privée et sur les faits familiaux et sociaux, on pourrait démêler le vrai du faux.

C’était la période de la Grande Conquête du Maroc et des changements et la naissance des clivages entre les familles conservatrices et progressistes.

Le cas des deux familles, celle de ma grand-mère et celle des parents de mon grand-père, Bassidi Ssi Abdelaziz représentait grosso-modo cette nouvelle situation.

De part son commerce à l'international, la fréquentation des élites aussi bien marocaines qu’étrangères et les voyages, Ssi Allal le papa de ma grand-mère finit par acquérir une certaine ouverture d'esprit. En revanche, la famille de Bassidi demeurait cramponnée au système de fonctionnement ancestral. Ma grand-mère Malika, l'héroïne de l'ombre, fut pionnière dans les changements qui pointaient.

Comme notre culture n'a jamais été figée, elle allait à nouveau évoluer au fil du temps, par des apports successifs.

Durant la période coloniale, les gens socialisaient avec les résidents européens le plus normalement du monde. De même qu'il arriva que des alliances ou des mariages soient conclus entre différentes classes sociales.


La famille de ma grand-mère était issue de la classe aristocratique. Cela ne l'empêcha pas de donner sa fille à une famille de maîtres artisans de père en fils, et ce depuis leur arrivée de l'Andalousie. Chacune de ces familles avait certes le même tronc, presque le même parcours spirituel mais chacune d'elle avait ses propres particularités qui la distinguaient de l'autre. C’étaient les nuances qui faisaient la différence. Ainsi les relations familiales furent marquées par des hauts et des bas. La recherche par grand-mère de l’équilibre au sein de son couple était au début de son mariage difficile à atteindre pour plusieurs considérations.


Pour avoir une idée plus précise de la beauté de leurs demeures, je vous propose de vous prendre par la main pour aller les visiter. On pourrait entreprendre la balade, par n'importe quelle porte de la Médina de Fès, on finirait par y aboutir. Plus la balade durera, plus elle sera animée et enrichissante. En traversant chaque rue ou ruelle, des souvenirs surgiront pour vous raconter mille et une histoires dont chaque coin et recoin regorgent ...

Nous serons au seuil de leur porte surpris par les belles senteurs, celles des bons plats ou des parfums faits maison à base de plantes ou d’encens.

On peut déjà imaginer l'angélique Lalla Malika dans le palais de son papa où elle avait vu le jour, portant un somptueux caftan et parée de petits bijoux, prête à nous accueillir. Et c’était bien le cas, elle était toujours élégante et toujours prête pour recevoir, le sourire aux lèvres.

Je ne comprenais pas mon papa qui la qualifiait de revendicatrice, tellement elle était sereine et sage. Le comble fut qu'il trouvait que je lui ressemblais comme deux gouttes d'eau !

On peut se demander la raison d’écrire sur mes grands-parents et arrière-grands-parents ?Plusieurs raisons m'ont poussée à développer des récits sur la Mémoire Collective et l'identité culturelle.


Avec la mondialisation et son hégémonie qui galopent à pas de géants, pour effacer sur leur passage les autres identités culturelles, on ne peut que s'insurger contre l’uniformisation culturelle. Mais il est certain que toute culture ne pourrait demeurer figée, puisqu’elle est toujours appelée à s’enrichir par l’apport des autres cultures.


Que nous reste-t-il si on perd toutes nos traditions, nos racines, nos langues qui étaient à la base de la création de la Nation Marocaine, une des plus anciennes nations du monde ?

Notre histoire économique et sociale et nos valeurs avaient permis une cohésion sociale nationale et un certain bien-être en dépit des épreuves de la vie et des affres de la colonisation.

Les jeunes générations devraient en prendre conscience. Celui qui ne connaît pas son passé, ses racines, ne peut comprendre son présent ni préparer son avenir. Il s'agit d!une question d’équilibre personnel.

Cela dit, l'ouverture sur d!autres langues et cultures permet un dialogue interculturel de haute importance.

L'apaisement de la confrontation entre les conservateurs et les modernistes repose essentiellement sur le respect et la cohabitation sans heurts, dans le cadre de débats constructifs.

Ce travail de prospection m'a permis également de découvrir mon propre moi et de me surprendre par des histoires d'apparence simple, mais qui sont en réalité d'une richesse incommensurable et d'une grande complexité ; d'autant plus que les lieux de leur déroulement se situent dans les palais royaux, les harems et différentes administrations publiques et privées, voire à l’étranger.


J'ai découvert des personnalités hors du commun, fidèles à leurs idéaux, prêtes à soulever des montagnes pour les défendre.


Comme notre culture est principalement orale, les informations collectées sont menacées de déperdition, d'autant plus qu’à mon tour, je prends de l’âge. J'ai le devoir et l'obligation en ma qualité de dépositaire de leurs confidences de décrire et de les transmettre le plus fidèlement possible. Le dicton de l’écrivain Malien Amadou Hampâté Bâ demeure instructif « En Afrique, quand un vieillard traditionaliste meurt, c'est une bibliothèque inexploitée qui brûle ».


Il importe donc de transcrire ces informations afin que chacun mette sa petite pierre dans le grand édifice du Patrimoine Culturel, Matériel et Immatériel. Ainsi en dépit du pouvoir des cultures dominantes, les cultures nationales devraient continuer à faire preuve de résistance.


Enfin, je voudrais mettre en exergue dans cet ouvrage l’importance des contes et des Sciences Sociales qui permettent de développer la mémoire, structurer les pensées et prendre conscience de la puissance des mots. D’autant plus que ces sciences participent à l’instar de la Culture au développement durable.

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