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Writer's pictureFrançois De Bernard

L’IMPENSÉ POÏETIQUE

"Pour une traversée poïétique des frontières"

Préface de François de Bernard, philosophe, écrivain et président du GERM (Groupe d’Études et de Recherches sur les Mondialisations)


Ouvrage et Œuvres de Mohamed ZINELABIDINE, Edition


SOTUMEDIAS


Redoutable défi, celui que nous adresse Mohamed Zinelabidine avec son Impensé poïétique ! Celui depenser, malgré tout (disputes philosophiques, controverses historiques, contradictions politiques, paradigmes universitaires, barrières économiques et disciplinaires) : l’impensé du rapport à l’œuvre d’art, son angle mort ou coin aveugle. Lumière aveuglante qui menace d’abolir toute différence, de gommer toute diversité, et singulièrement cette diversité culturelle redevenue naguère, après un tunnelinterminable, un oubli coupable, une réduction pathétique, une mise à l’écart emblématique : l’Objectif à nouveau largement partagé par la communauté internationale, le vecteur assumé d’une Paix durable, éminent au point de se voir solennellement réaffirmé comme sujet irréfragable d’un droithumain inaliénable[ Cf. la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle, adoptée le 2 novembre 2001, geste puissant de l’institution internationale, à l’origine de la successive Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée en octobre 2005.].


Redoutable gageure, également, que d’associer la question du Destin à celle du poïétique, en un tempsoù les mots d’ordre administratifs et politiques les plus confus nous enjoignent toujours plus à nous concentrer exclusivement sur les seules pratiques culturelles, leur diffusion, leur « accessibilité », au détriment… de toute réflexion sur le sens, l’à-venir, voire… le destin même de ces pratiques !


Cependant, le défi est relevé avec panache par un auteur démiurgique qui convoque dans l’arène ses propres traversées des frontières : de la musique à la peinture, de la poésie à la sociologie, et de la sémiologie à la politique. Or, c’est singulièrement depuis ses expérimentations menées de longue date avec autant d’enthousiasme que de constance au cœur de trois domaines artistiques (Musique, Poésie, Peinture) entrelacés pour le meilleur : que M. Zinelabidine élève le débat au-delà de l’investigation sociologique et de la spéculation anthropologique pour convoquer un Esprit du Destin qui renvoie à l’Esprit du Temps (Zeitgeist) hölderlinien et à sa remise en scène un siècle plus tard par Paul Valéry ou Sigmund Freud.


Ce parcours (des semailles les plus anciennes jusqu’aux récoltes les plus récentes), il nous y invita d’abord depuis l’intérieur du champ musical, comme interprète, concertiste, metteur en scène, producteur d’évènements, professeur, pédagogue, conservateur, directeur d’institutions (liste non exhaustive), avec un talent exemplaire dans la promotion des jeunes talents, ainsi que l’aide au développement et au montage de leurs créations. Il le poursuivit avec joie dans le « registre » poétique, qu’il a abondamment cultivé en tant que tel et qu’il sait aussi habilement mêler au genre universitaire, par exemple au sein même du présent essai[ « L’Esprit du destin / Est ordre et désordre, /D’un temps qui échappe à son temps, / Et aux raisons de l’Être, / Mues par l’inextricable portée du Silence / Et l’impitoyable écriture du temps (…) », in le chap. Aperception.]. Il le croise et perpétue enfin par une percée étonnante dans la trame d’un domaine pictural dont il s’est saisi avec une fougue intacte, tel un cavalier solitaire traçant le sillon de son aventure sans hésitation ni concession[ On signalera en ce domaine les œuvres graphiques de l’auteur titrées Nuit au soleil, Quai des Arts et Enluminures, pour l’énergie et la profondeur qui en émanent.].


C’est ainsi, depuis ce triple creusement individuel et simultané de la matière poïétique qu’il peut à la fois témoigner et éclairer, sinon (ré)enchanter : l’impensé qui l’occupe et l’interroge — en nous donnant à entendre de la manière la plus tangible comment il perçoit au quotidien le défi créatif dans tous ses états, se l’approprie, le retourne, le triture, l’informe, le transforme et le restitue tant dans la « sphère publique » de l’acteur ouvert sur le Monde que dans l’espace privé de l’auteur méditant sur le Soi, le Silence et l’Absence.


C’est le geste artistique, improvisé, risqué, éprouvé et répété avec assiduité, sur un mode aussi bien collectif que solipsiste, au cœur des différents domaines de « la musique », de « la peinture » et de « l’écriture » : cette expérience renouvelée avec bonheur de part en part, de lieu en lieu et de support en support, qui procure au retour philosophique proposé par l’impenseur sa valeur et son intérêt. En effet,à la faveur de cette précieuse, durable et persistante expérience multiforme : le poïétique objet de la visée initiale d’un ambitieux projet vient à se dépouiller progressivement de son spectre métaphysiquepour se réincarner dans le pétrissage de la pâte picturale, sonore et scripturale qui se dévoile et s’anime à nos yeux, nos oreilles, notre goût et notre intellection.


Le nouveau Janus bifrons peut alors affirmer avec conviction et clarté : « L’artiste-penseur me paraît, en réalité, un impenseur donnant sens et non-sens au vide, au silence, à la solitude, à la projection, à l’attente qu’il essaye de redéployer et dont il arrive à reconfigurer les paradigmes, les éléments pour faire de l’absence une présence au métalangage. »


Il est celui qui regarde sans crainte yeux grand ouverts vers l’avant tout en maintenant son attention et respect au passé, celui qui s’intéresse aux initiations et commencements originels autant qu’aux fins dernières — un homme des passages de traverse et des portes, fussent-elles dérobées :


« L’art appartient (…) à ce sentier où il est exaltant de franchir les barrières, de défier l’habitus et d’oser ».


Voilà le programme.

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