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Les Chaires ICESCO : Une expérience novatrice de géopolitique de la Culture

Cf. Réunion du Réseau International des Chaires ICESCO pour la pensée, le Patrimoine, les lettres et les Arts



Zoubeida BOUKHARI






Zoubeida BOUKHARI


Consultante indépendante en culture éducation et communication environnementale

Conférencière  à Grenoble Ecole de Management

(Festival de géopolitique  2014 – 2017)



L’ICESCO, cette Organisation Mondiale, réunissant 54 Etats membres, est, depuis sa fondation en 1981, témoin des mutations politiques au XXIème siècle fondées sur de nouvelles rivalités de pouvoir dont l’impact est considérable sur les populations musulmanes et leurs perspectives. Ce qui pose une question majeure concernant la transmission des valeurs. Voire, l’héritage de valeurs idéales sur lesquelles repose la civilisation musulmane, pareil à toute civilisation, et vers lesquelles chaque génération doit tendre. Ainsi l’identité musulmane s’est-elle construite par une action continue, à travers les siècles, visant à promouvoir le respect et la tolérance. Certes, bien que l’histoire ancienne de l’islam  plonge ses racines dans l’Arabie Occidentale du VIIème siècle et dans le Proche-Orient puis le Maghreb, et qu’aujourd’hui son centre démographique se situe résolument en Asie (Indonésie, Pakistan, Bangladesh…) on ne peut oublier son versant européen et la genèse de sa présence au cœur même de ce continent, outre le continent américain.

Se référer aux différentes facettes (démographiques, religieuses, sociales ainsi que les débats qui traverse ces populations dispersées dans le monde et qui ont l’islam en partage comme foi, comme, engagement politique ou comme héritage culturel permet de souligner les nouvelles et importantes caractéristiques du paysage musulman que l’ICESCO tient à mettre en valeur. En effet,

« Depuis qu’il est là, Dr. Salim AL-Malek, Directeur Général de l’ICESCO, tend à instaurer cette vision nouvelle où l’on est dans une exception bien plus large : celle d’un islam civilisationnel, d’un islam humain, d’un islam scientifique, d’un islam qui n’est pas que dans la religion, d’où le changement de l’appellation : Organisation du Mondes Islamique pour l’Éducation, les  Sciences et la Culture,  (ICESCO) au lieu de Organisation Islamique pour l’Éducation, les Sciences et la Culture (ISESCO), » affirme Pr. Mohamed Zinelabidine.

Ce changement fut lors de la 40ème session du conseil exécutif de cette organisation tenue le 30 janvier 2020 à Abu Dhabi (Émirats Arabes Unis).

Si l’on se rapporte  aux trois dimensions religieuses suivantes :

  • la dominante  confessionnelle du pays ;

  • l’appartenance individuelle déclarée ;

  • le degré de la religiosité ;

on déduit que la simple déclaration d’une confession n’est guère prédictive du système de valeurs des individus. C’est, en fait, la culture religieuse du pays et le niveau de religiosité qui sont les plus déterminants. La religion garde d’abord une importance liée aux histoires nationales : l’éthique de chaque confession contribue à former les valeurs de chaque pays, il en résulte des proximités entre les pays de la même zone géoreligieuse. Toutefois, sur cette base culturelle, l’implication religieuse personnelle à travers des croyances et des pratiques fait sentir son effet spécifique indépendamment de la religion. D’où la nécessité de lancer des Chaires à l’ICESCO tel que le souligne Pr. Mohamed Zinelabidine. Selon lui, ces Chaires lancées en octobre 2020, suite à sa propre initiative aussi bien que le consentement et l’appui du Dr. Salim Al-Malek, était un cheminement important voire capital parce que

« les Chaires résument l’université, résument la recherche scientifique, résument le savoir et le savoir faire ainsi que les connaissances, résument tout ce qui est didactique et tout ce qui peut promouvoir davantage cette idée de l’action que pouvait entreprendre et initier l’ICESCO, explique-t-il. »

Dans le paysage religieux, aux quatre coins du monde, le fait religieux musulman occupe une place éminente non seulement en raison du poids démographique des musulmans mais aussi en raison des débats récurrents qu’il suscite. Alors que la pratique de l’islam se banaliser, se banalise également le discours qui en fait un repoussoir absolu et le réceptacle de toutes les peurs sociales. Ainsi, comme le note Pr. Mohamed Zinelabidine

« les Chaires ce n’est pas quelque chose de subsidiaire ou de marginal. C’est au cœur de ce qui peut changer les mentalités, notamment dans le monde musulman ; au cœur de ce qui peut apporter réellement un vecteur de transmission, d’évolution et de révolution des mentalités, etc. . »

C’est par là qu’on peut aborder l’expérience de l’ICESCO en géopolitique de la culture. Pour ce faire, on peut d’abord s’appuyer sur le constat d’incontournables diversités de Chaires qui se trouvent dans de nombreux pays : chacun a une histoire et une géographie propres qui se traduisent par des intentions politiques variées, parfois convergentes, parfois divergentes ; chacun a une organisation institutionnelle spécifique, avec une armature et un rôle des collectivités territoriales différents.

 

En tant qu’initiateur des Chaires ICESCO Pr. Mohamed Zinelabidine, par la démarche de géopoliticien, qui est sienne, montre qu’il ne suffit pas de prendre en considération le cadre géographique dont les contraintes influent sur les processus de prise de décision, notamment le pouvoir- la politique. Encore faut-il savoir comment procéder pour repenser le monde. Ce monde que les Hommes sont, d’ores et déjà, parvenus à penser.

« Vous allez remarquer, proclame-t-il, que les Chaires ne se basent pas dans des pays du monde oriental, musulman, arabe, asiatique étant membres de l’ICESCO mais aussi dans des pays telle que l’Allemagne, la France, la Suisse, le Brésil ; et c’est très important d’épouser l’esprit du monde en étant soi-même. »

En ce sens, le mérite des Chaires ICESCO en matière de géopolitique paraît résider dans leur capacité de penser le monde dans sa globalité, à dégager les grandes tendances sur la longue durée. C’est la démarche qu’il faudrait apprécier et qui mérite d’être prise en compte car elle reflète un travail solide et bien étayé qui mène à engager un questionnement de fond. Ainsi quoiqu’il en soit les personnes impliquées dans les Chaires ICESCO (en tant que cible) peuvent découvrir comment les responsables de ces Chaires sont en mesure de dégager les grandes tendances qui régissent l’évolution spatiale des sociétés humaines. En effet, D’après les compte-rendus de leurs activités, ils ont initié des projets dont le but commun n’est pas d’accumuler des masses de connaissances, mais plutôt de les utiliser intelligemment et pertinemment en donnant du sens aux choses.

Il est clair qu’une question majeure de notre temps porte sur la façon dont la mondialisation gère les différences et les facteurs tant culturels que civilisationnels. Certes, chaque peuple souhaite vivre selon son propre modèle, sous peine de frictions douloureuses. Simultanément, la mondialisation est source de métissage et de mélange, donc d’unification, mais aussi source de replis identitaires consacrant le refus de l’uniformisation. D’où l’acheminement, peu à peu, vers une géopolitique du cosmopolitisme notamment dans certains continent à savoir l’Europe où l’islam se construit dans un contexte de mondialisation religieuse. L’Europe sécularisée est, en fait, devenue le laboratoire privilégiés à partir duquel s’ébauche une réflexion sur la production d’une normativité islamique adaptée à un environnement sécularisé. On assiste également à la tentative de promotion d’un islam délivré du poids des coutumes ethniques qui serait dés lors applicable en tous lieux du globe, un islam qui prend appui sur la diffusion d’une version standardisée. Ceci étant, la nouveauté introduite par les Chaires ICESCO, la culture pour repenser le monde, semble être dans cette approche intégrale de l’espace terrestre, ce regard singulier qui cherche à mettre de l’ordre intellectuel dans le chaos naturel, à ordonner discrètement le réel dans le but d’y repérer des lois universelles permettant de rendre compte de son appropriation politique. Ainsi l’intérêt des Chaires ICESCO est, non pas un référent universitaire abstrait mais une méthode permettant d’approcher et cerner le monde dans sa complexité afin d’être au plus près des enjeux réels. Ces Chaires constituent une clé précieuse pour évoluer dans le monde d’aujourd’hui et surtout de demain.

« Le sectarisme, le séparatisme, ont beaucoup nuit à l’islam recroquevillé sur lui-même, incapable de parler au monde. On parle de séparatisme, de décivilisation de musulmans qui sont complètement déconnectés de ce monde, des incidents communautaires et communautaristes alors que l’islam est tout autre chose ; et, tout l’intérêt de l’ICESCO - cette Organisation qui travaille sur ces registres, ces vecteurs de l’humanité – est qu’elle traduise cette ambition nouvelle d’être autrement et de ne pas être dans la prévention des formes, dans la suspicion, dans l’appréhension de ce qu’il y a mais dans la conjugaison des efforts pour que le monde aille mieux. Et, l’islam est partie prenante de ce monde tout comme le christianisme, tout comme le bouddhisme, etc. C’est un moteur qui devrait régénérer une autre vision une autre réalité à laquelle nous concourons tous », souligne Pr. Mohamed Zinelabidine.

Pour en revenir à l’approche que Pr. Mohamed Zinelabidine prône, via les Chaires, en travaillant sur des aires culturelles avec une logique géopolitique, il faudrait, sans doute, emprunter à Leibniz son emploi, en 1679, le mot géopolitique avec la formule suivante : « la géopolitique porte sur l’état de notre terre relativement au genre humain et comprend l’histoire universelle et la géographie civile. » D’où la conclusion que la géopolitique implique une solide prise en compte de multiples paramètres liés aux particularités locales.

«  La culture revient en force ici, précise Pr. Mohamed Zinelabidine, parce que hélas la culture islamique a toujours été assez connotée dans son rapport à la religion, à la connaissance religieuse, c'est-à-dire de par l’histoire de cette Organisation – l’ICESCO – nous avons eu un regard assez méfiant de tout ce qui est autrement, que l’islam, autrement que l’Arabie. Mais cette vision avance pour que finalement cette Organisation épouse une vision qui peut porter ou défier un développement humain, un développement de tous les humains. C’est ça la motivation de  l’ICESCO dans son esprit nouveau dans son engouement pour être et signifier que les temps ont changé que l’islam en revendiquant sa part culturelle identitaire, il est aussi dans quelque chose, de plus humain, de plus universel et de pluriversel », ajoute -t-il.

Il y a là, une forme de déterminisme dans l’initiative prise par l’ICESCO en laçant des Chaires qui font preuve d’un nouvel état d’esprit adapté au monde contemporain.

 

Étant devenues en vogue à l’ICESCO, et loin de découler d’un engouement pour la culture générale – qui est, pour certains indispensable à avoir pour déchiffrer un monde globalisé, les Chaires présentent un terreau propice pour l’éclosion de cette idée de la culture pour repenser le monde.

« C’est la raison pour laquelle, note Pr. Mohamed Zinelabidine, on ne pouvait faire des Chaires en rapport avec ce qui est commun ; mais on était vers la philosophie, vers les arts contemporains, vers les arts en général, vers les connexions et les correspondances entre orient et occident, vers les thématiques tout à fait novatrices, vers l’Afrique dans le sens de la renaissance africaine, etc. Nous avons une perception tout à fait claire du rôle dévolu à une organisation islamique. Il fallait, déjà, que ces chaires expriment une autre orientation. »

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