
Mr. Mohamed Hedi Shili
Directeur des affaires juridiques et des normes internationales, ICESCO
Les droits de l'homme sont un « ensemble de droits, libertés et prérogatives reconnus aux hommes en tant que tels »[1],
c'est-à-dire en leur seule qualité d'être humain.
Mettant l'accent sur le fait que l'homme est un individu, Jeanne Hersch considère les droits de l'homme comme « des droits individuels, naturels, primitifs, absolus, primordiaux ou personnels. Ce sont des facultés, des prérogatives morales que la nature confère à l'homme en tant qu'être intelligent »[2]. Quant à Vincensini, il considère les droits de l'homme comme
« des prérogatives gouvernées par les règles reconnues par le droit constitutionnel et le droit international qui visent à défendre les droits de la personne dans leurs relations avec le pouvoir de l'Etat et avec les autres personnes et qui tendent à promouvoir l'établissement des conditions permettant de jouir effectivement de ces droits »[3]
Il s'en déduit que les droits de l'homme sont des facultés que tout être humain ou individu possède en toute liberté et dont les violations ou tout refus à y satisfaire est considéré comme illégaux parce que reconnus par la collectivité. Ce sont aussi des standards fondamentaux, des prérogatives morales ou des règles que la nature confère à l'homme en tant qu'être doué d'intelligence auxquels doivent se conformer la coexistence des sociétés et des individus; qui sont la manifestation de sa personnalité et qui lui permettent d'agir, de vivre, de se protéger. Les droits de l'homme sont le fondement de la liberté, de la justice, de la paix et dont le respect permet à l'homme de se développer.
Le fondement du respect des droits de l'homme est la théorie du droit naturel dont l'idée en jeu est la suivante : c'est en raison de la nature de l'homme, présente en chaque individu dès sa naissance, que tous les êtres humains ont des droits fondamentaux. Ces droits apparaissent comme des droits innés et, en tant que tels, sont antérieurs à toute organisation sociale et politique. Pour Blandine Kriegel,
« la nature humaine comporte des droits inaliénables. C'est la nature avec la loi, c'est-à-dire un univers où l'exigence mathématique conduit en même temps à définir des lois de rapport entre êtres et à décrire l'égalité fondamentale des conditions. Le fondement du respect des droits de l'homme est donc, ici, leur caractère obligatoire et leur inhérence à la nature humaine. Les droits de l'homme sont donc un droit naturel »[4].
Cette influence du « jus naturalisme » figure dans un grand nombre de déclarations de la fin du XVIIIe siècle, notamment, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qui dispose dans son préambule et ses deux premiers articles que :
« Les représentants du peuple français, (...), considérant que l'ignorance ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme (...) ». « Article 1er - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». « Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » [5]
Dans certains cas, cette nature de l'homme est considérée comme le résultat d'une création divine, c'est-à-dire une référence religieuse à l'idée d'un être suprême. D'où la notion du caractère sacré de la dignité de la personne humaine créée à l'image de Dieu comme fondement du respect des droits de l'homme. L'ensemble des droits de l'homme correspond donc à la substance de la dignité de l'être humain compris dans son intégrité, ils se réfèrent à la satisfaction des besoins essentiels de l'homme, à l'exercice de ses libertés, à ses rapports avec les autres personnes. Ce qui implique la lutte contre toutes formes d'exploitation et de manipulation perpétrées au détriment des hommes, non seulement dans les domaines social, politique et économique, mais aussi sur les plans culturel, idéologique et médical. Comprise par Emmanuel Kant comme « ce qui est au-dessus de tout prix et n'admet nul équivalent, n'ayant pas une valeur relative mais une valeur absolue »[6] et par Guimbo R. comme une « certaine conception de soi qui s'oppose aux actes dégradants dont l'individu serait responsable ou dont autrui se rendrait coupable à son égard »[7] ; la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine a été reconnue par la Communauté internationale comme fondement de la liberté, de la justice et de la paix.
Les définitions déjà avancées ci-dessus mettent toutes l'accent sur l'aspect universel des droits de l'homme, mais que faut-il entendre par universalité des droits de l'homme ?
Selon Gregorio Peces Barba Martinez, cette notion couvre trois choses distinctes qui sont toutes liées aux fondements des droits.
D'abord, sur un plan rationnel, l'universalité désigne l'attribution des droits a tous les êtres humains « ces droits sont rationnels et abstraits, en accord avec le fait qu'ils sont attribués à tous les hommes et qu'ils sont porteurs d'une prétention de validité générale du fait des critères de moralité qui les fondent »[8]
Sur un plan temporel, l'universalité repose sur le caractère général et abstrait des droits de l'homme, donc ces droits doivent être attribuées à l'homme indépendamment du facteur historique. Enfin, sur le plan spatial, les droits de l'homme doivent concerner toutes les sociétés politiques sans exception.
L'auteur rappelle aussi que chaque composante de l'universalité des droits de l'homme fait l'objet d'une étude par ses spécialistes. A cet égard l'universalité au sens rationnel fait l'objet d'une étude par les philosophes du droit, l'universalité au sens temporel, fait l'objet d'une étude par les historiens du droit, enfin l'universalité spatiale, celle-ci est le centre d'intérêt des constitutionnalistes, des internationalistes et des comparatistes.
S'agissant des divergences quant a l'emploi des termes universalisme ou universalité, l'auteur signale que la doctrine utilise parfois les deux termes indifféremment alors qu'il y a d'autres qui ne les assimilent pas. Le professeur Gregorio Peces Barba Martinez, quant à lui, affirme que l'universalisme des droits de l'homme, renvoie plus au premier sens de l'universalité c'est-à-dire l'universalité au sens rationnel. Toutefois, parler de l'universalité des droits de l'homme, suppose que ces droits soient valides pour tous les hommes « mais qui sont envisagés dans un contexte historique ou géographique »[9].
Faut-il aussi préciser que, parler de l'universalité temporelle, désigne le processus de généralisation des droits de l'homme alors que traiter la question de l'universalité spatiale revient nécessairement à parler du processus d'internationalisation des droits de l'homme.
La question de l'universalité des droits de l'homme est aujourd'hui au cœur du débat de nombreux chercheurs et penseurs de sciences humaines et sociales, juristes, anthropologues, philosophes du droit, historiens du droit, les comparatistes, les internationalistes et les constitutionalistes ...etc.
Une étude approfondie des manuels relatifs aux droits et libertés, nous permet de constater que l’universalité était envisagée à partir de deux points de vue différents. D'une part l'universalité des droits de l'homme, d'un point de vue de sa destination. Cet angle nous permet de constater avec la doctrine que l'universalité des droits de l'homme est reconnue aussi bien sur le plan interne que sur le plan international, en effet les droits de l'homme s'adressent à tous les hommes sans distinction[10].
Témoigne sans doute, sur le plan international, la prolifération des traités relatifs aux droits et libertés qui est déjà une indication - relative - de la volonté des Etats de les respecter. Cette obligation de respect concerne l'ensemble des droits de l'homme d'origine coutumière ou conventionnelle, en prenant comme point de départ l'article 55 de la Charte des Nations Unies[11]. La reconnaissance des droits de l'homme et leur introduction dans l'ordre juridique international font alors d'eux l'une des tâches prioritaires de la communauté internationale. Les droits de l'homme sont désormais un phénomène qui appartient au terroir de toutes les nations de telle sorte qu'ils ne sont étrangers à aucune culture. Les diversités culturelles sont considérées comme un enrichissement de l'universalité. C'est ainsi que le professeur Paul Gérard Pougoue parle de « l'universalisme pluriel » pour dire que les droits de l'homme sont justement le produit de plusieurs apports culturels non exclusifs les uns les autres. Et au professeur Michel F. Sawadogo de renchérir :
« l'universalisme découle également de l'enrichissement possible et souhaitable des droits de l'homme par toutes les nations du monde »[12].
L'universalisme suppose également que leur absence ou leur méconnaissance par l'Etat va plus loin qu'une simple négation de la dignité humaine. Elle a sa place aux racines même de la pauvreté et de la violence politique qui sont le fléau du monde actuel. Cette conception élargie des droits de l'homme constitue la pierre angulaire des activités des Nations Unies considérées comme le catalyseur principal de la promotion et de la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'échelle mondiale.
En effet, la création de l'Organisation des Nations Unies à la Conférence de San Francisco depuis 1945 a rendu effectif l'idéal de la promotion et de la « protection » des droits de l'homme sur le plan universel. Le juge Keba Mbaye définit, de ce fait, la protection comme étant « tout système comportant, à l'occasion d'une ou de plusieurs violations d'un principe ou d'une règle relatifs aux droits de l'homme et édictés en faveur d'une personne ou d'un groupe de personne, la possibilité pour l'intéressé de soumettre une réclamation, de déclencher une mesure tendant à faire cesser la ou les violations ou à assurer aux victimes une réparation équitable »[13]. La protection des droits de l'homme constitue alors la dimension spatiale de leur conquête. Ainsi, le professeur DEGNI-SEGUI a-t-il pu écrire :
« on est passé de la protection nationale à la protection régionale en passant par la protection universelle »[14]
Au cours de ses dix premières années d'existence, l'activité des Nations Unies dans ce domaine fut essentiellement, mais non exclusivement, consacré à la définition des « droits de l'homme » et des « libertés fondamentales » et à l'élaboration des normes et des principes généraux, surtout par l'adoption des instruments internationaux de protection[15]. Ainsi, dès le préambule de la Charte Constitutive, les Nations Unies « proclament leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits de l'homme et de la femme, ainsi que des nations, grandes et petites ». La volonté de développer et d'encourager le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de faciliter leur jouissance est affirmée sous formes diverses et à plusieurs reprises dans les dispositions de la Charte des Nations Unies[16].
Sur le plan interne, les constitutions nationales des Etats mettent en avant les droits de l'homme. Tous les Etats reconnaissent la valeur de ces droits et organisent les mécanismes nécessaires qui garantissent leur respect. Par conséquent le rôle de la justice constitutionnelle demeure principalement la défense de la transcendance des droits de l'homme, le juge constitutionnel devient, à son tour, une institution impérative. Sa mission en tant que juge qui contrôle la constitutionnalité de la loi, est de sanctionner la méconnaissance des droits fondamentaux de l'homme rien que ces droits inviolables, sont placés au sommet de la hiérarchie des normes. La légitimité de la justice constitutionnelle passe ainsi avant tout par la protection de ceux-ci contre les possibles atteinte par le législateur. La défense des droits de l'Homme est donc le corollaire à la fonction d'identification en ce sens qu'elle permet de rejoindre la finalité de la démocratie : un gouvernement par le peuple, donc dans son intérêt et non pas dans celui du seul gouvernant. Sous cet angle, la justice constitutionnelle trouve pleinement sa justification au sein d'un État de droit.
L'autre point de vue envisagé par la doctrine sur la question de l'universalité des droits de l'homme, est celui de leur réception. En se plaçant de ce côté, on constate que l'universalité des droits de l'homme demeure encore fragile.
La doctrine des droits et libertés affirme à cet égard que « toute interrogation sur la possible universalité des droits de l'homme conduit à affronter la dialectique universalité/spécificité des droits de l'homme, autrement dit a effectuer le constat de la coexistence des discours de l'universel et de la pluralité »[17] et d'ajouter que « l'universalité des droits de l'homme renvoie davantage à l'univers mental qu'à l'univers réel. Affirmée par la Déclaration universelle de 1948, elle est pour l'essentiel à construire »[18], ou encore l'affirmation de Patrick Wachsmann « les droits de l'homme sont un universalisme (ils s'adressent à tous les hommes sans distinction), ils ne sont pas universels »[19]
Sans doute, la fragilité de l'universalité des droits de l'homme est due à plusieurs facteurs, freins et obstacles.
Ces facteurs sont d'ordre théorique, culturel, religieux et même des facteurs économiques et politiques.
Plusieurs juristes doutent aujourd'hui de l'universalité des droits de l'homme, en effet la réception d'une conception occidentale des droits de l'homme par les Etats du Sud n'est pas une réception « normale ». Certaines civilisations opposent encore leurs mœurs, traditions et authenticités à l'universalité des droits de l'homme. Certains autres penseurs nous invitent vivement à ne pas prendre pour des universaux des prétentions à l'universel.
La remise en cause de l'universalité des droits de l'homme tient aussi au mouvement de leur régionalisation. Ce phénomène de régionalisation des droits de l'homme avait manifesté une véritable démarcation des Etats orientaux de la conception universelle des droits de l'homme.
Ces Etats, à travers leurs documents, ont manifesté une hostilité à l'égard de l'Occident et par conséquent à la conception voulue universelle par l'Organisation des Nations Unies.
Entre ceux qui affirment la réalité de l'universalité des droits de l'homme et ceux qui réclament son hypocrisie, un autre courant de la doctrine propose des solutions, des idées et des corrections, pourvue que l'universalité des droits de l'homme devient un acquis plutôt qu'un requis.
Notes
[1] GRAWITZ (Madeleine), Lexique des sciences sociales, 7e Edition, Paris, Dalloz, 2000, p135
[2] HERSCH (Jeanne) (sous la dir.), Le droit d'être un homme. Anthologie mondiale de la liberté, Paris, JCL/Unesco, 1990, p 129
[3] VINCENSINI (J.J.), Le livre des droits de l'homme, Paris, Ed. Robert Laffont, 1985, p 12
[4] KRIEGEL (Blandine), Cours de philosophie politique, Paris, Librairie Générale Française, 1996, pp 118-119
[5] RIALS (S), La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Paris, Hachette (Pluriel), 1988, p 492
[6] KANT (Emmanuel), Fondement de la métaphysique des moeurs, Paris, Ladrange, 1993, p 76
[7] GUIMBO(R) In MORIN (Jean-Yves) (Sous la dir.), Les droits fondamentaux, Paris, Bruylant, 1997, p 73
[8] Gregorio (P), Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, 2004, p. 271
[9] Ibid
[10] WACHSAMANN (P). Les droits de l'homme, 4e éd. - Paris : Dalloz, 2002, p. 50
[11] ALLAND (Denis), Droit international public, Paris, PUF, Collection Droit Fondamental, 2000, p. 577
[12] POUGOUE (Paul Gérard) et SAWADOGO F.(Michel) cités par BAGORO BESSOLE (René), La protection des droits de l'homme dans la Charte Africaine des droits de l'homme, Mémoire DEA, Chaire Unesco des Droits de la Personne et de la Démocratie, Université d'Abomey-Calavi, Cotonou, 2001-2002, p. 79
[13] MBAYE (Keba), Les droits de l'homme en Afrique, Paris, Pédone, 1992, p 76
[14] DEGNI-SEGUI (René), Les droits de l'homme en Afrique noire francophone : Théories et réalités, Abidjan, Imprimob, 1997, pp 4-5
[15] Nation Unis, l'ONU pour tous. Ce qu'il faut savoir de l'ONU, de ses travaux, de son évolution pendant les 20 premières années (1945-1965), 8e Edition, New York, Service d'information, 1968, p 148
[16] Par exemple, dans l'article premier qui traite des buts et des principes de l'organisation ; dans l'article 62, concernant le Conseil économique et social, et dans l'article 76 sur les fins essentielles du régime international de tutelle. Dans l'article 56, tous les membres de l'ONU s'engagent à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l'organisation en vue d'atteindre certains buts énumérés à l'article 55, notamment, la promotion du « respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». A l'article 68, le Conseil économique et social est habilité à instituer des commissions « pour les question économiques et sociales et le progrès des droits de l'homme » In Nations Unies, Mécanisme des droits de l'Homme, Op.Cit., p 4
[17] Levinet (M), Théorie générale des droits et libertés, Bruxelles : Bruylant, 2006, p. 163
[18] Mireille Delmas (M), trois défis pour un droit mondial, Seuil, 1998, pp. 25-26.
[19] Les droits de l'homme, Dalloz, Coll « Connaissance du droit », 4 ed, 2002, p. 45.