ATTAB Sabah
Docteure en Littérature française.
Professeure de langue et littérature françaises.
Université Ibn Tofail, Kénitra
Faculté des Langues, Lettres et Arts
Laboratoire : Littérature, Art et Ingénierie pédagogique
Plan
Résumé
(…) Une femme savante ou seulement pensante est toujours laide, je vous en avertis sérieusement, et surtout une femme auteur…A propos ! Qu’est-ce donc que m’a dit Laure ? Que vous vouliez écrire. Ah ciel ! Une femme autrice ! Mais, c’est le comble du délire !(…) Une femme autrice sort des bornes de la modestie prescrite à son sexe.[1]
Français
Dans son ouvrage : Le monde arabe au féminin (El Khayat, 1986) la psychiatre et écrivaine marocaine évoquait la question du rôle majeur de l’écriture pour la femme arabe expliquant qu’ : « Il y a une nécessité historique, tactique et politique à ce que les femmes écrivent et soient lues. »[2] Fatima Mernissi a dédié son récit : Rêves de femmes, une enfance au harem (Mernissi, 1994) à l’éloge des mots et de l’écrit. En effet, la question de l’écriture des femmes se pose avec acuité au Maroc. Les écrivaines Marocaines tentent de s’imposer dans le champ littéraire, confrontées à une multitude de défis. Notre contribution met la lumière sur les immenses apports de cette littérature naissante et sa contribution, au-delà du littéraire et du poétique, à insuffler de nouvelles visions d’égalité, de droits et à ériger des remparts face au sexisme, à la discrimination et à la violence contre les femmes. Nous explorons aussi les caractéristiques de cette littérature, dont la principale spécificité est l’engagement.
English
Introduction :
Les mots sont les maux de la condition de la femme dans le monde arabe en général, et au Maroc, en particulier. Société patriarcale, par excellence, elle barricade la femme et construit autour de la parole et de l’expression verbale tout une toile d’interdits, de tabous et de hudud, terme lourd de symboliques et que la sociologue Marocaine Fatima Mernissi a mis en exergue, dans toute sa réflexion et son œuvre théorique et littéraire, non pour le sacraliser, mais plutôt pour l’accuser de toutes les injustices infligées aux femmes Marocaines. Il trônera dans ses écrits, en dictateur, à côté d’un autre terme, tout aussi paralysant et inhibant : le harem.
Mais la sociologue a intronisé un autre terme : « raconter » dans son récit autobiographique : Rêves de femmes, une enfance au harem (Mernissi, 1994). La parole est pouvoir, les mots sont une arme et pouvoir s’exprimer, c’est le premier pas vers l’émancipation et l’autonomie. Ses principales héroïnes, dans Rêves de femmes possèdent toutes le don de raconter des contes. Ce don devient leur issue de secours, leur bouffée d’oxygène et leurs espoirs dans un avenir plus émancipé, plus juste et plus égalitaire. Ghita El Khayat est convaincu que :
Le rapport des femmes à l’écriture est le problème frontal de leur lutte et les femmes, peuple sans écriture sont absentes dans l’histoire à cause de cela et sont entrées dans la lutte, diminuées par cette infirmité à manier la langue, l’écrit et la pensée.[4]
1. La narration comme outil d’émancipation et l’écriture comme espoir :
Les mots, je les chérirai, je les cultiverai pour éclairer les nuits, abattre les murailles, et anéantir les barrières. Tout me semblait facile, tante Habiba, grâce à vous et Chama qui apparaissiez et disparaissiez derrière votre fragile rideau de l’impuissance. Si frêles, vous étiez, dans la nuit, déjà avancée, sur cette terrasse isolée, mais si vitales, si merveilleuses. Je me ferai magicienne. Je cisèlerai les mots, pour partager le rêve avec les autres, et rendre les frontières inutiles.[5]
Interrogée sur son militantisme pour les droits de la femme marocaine, la sociologue répond :
J’ai milité en organisant des ateliers d’écriture pour suggérer l’écriture comme arme pour donner la visibilité aux acteurs civiques qui rêvaient de changer le Maroc et ce, à travers un livre collectif. Ces acteurs étaient des ex-prisonniers politiques, des femmes qui ont créé des associations dans les quartiers populaires (…)[6]
Un des personnages mythiques du récit est celui de tante Habiba, la femme répudiée, exclue, considérée comme citoyenne de seconde zone, humiliée, marginalisée, mais réhabilitée grâce à son don de conteuse. Elle subjugue son auditoire et requiert sa place du moment qu’elle possède l’art du verbe, l’art du mot et le temps de la narration, la conteuse se place au centre du monde, les yeux sont rivés à ses lèvres, c’est elle qui dirige le moment, le manipule, le sublime. Elle est la seule à offrir ce voyage hors temps, hors murailles. Elle, que le mari, par autorité et dictature machiste, par despotisme patriarcal l’a dépossédée de tout explique :
Mais il ne pourra jamais m’ôter ce que j’ai de plus précieux, répétait-elle, mon rire et toutes les merveilleuses histoires que je sais raconter quand l’auditoire en vaut la peine.[7]
La narration, les mots sont toujours connotés positivement. Dans une situation d’enfermement, la parole est la clef. Dans le récit, ce sont les femmes qui parlent et qui réussissent à initier le changement. L’exemple de la mère de la narratrice par ses protestations, ses revendications, son entêtement, sur un ton revendicatif et sur un autre registre, plus apaisé, plus stratégique se déploient les contes, les histoires de tante Habiba. Le trio « féministe » est couronné par l’artiste Chama, dont le jeu dramatique devient indispensable, les mots, les trames et les intrigues irremplaçables. La narratrice, subjuguée raconte que :
Chevauchant sur les mots, nous dépassions Sind et Hind, laissant loin derrière nous les pays musulmans, vivant les dangers de l’aventure, à la rencontre de chrétiens et de juifs qui nous offraient de partager leur nourriture bizarre, nous regardant faire nos prières tandis que nous les regardions faire les leurs. (…)»[8]
C’est cette altérité, cette tolérance, cet humanisme que nous offre la maîtrise des mots, et par extension la maitrise du savoir, et à moyen et à long terme, le changement des mentalités, les modifications des convictions radicales au contact de l’ouverture :
les mots ne sont pas innocents. Les mots sont là pour changer le monde.[9]
La narratrice exprime le même désir devant sa mère après avoir entendu l’histoire de Schéhérazade, symbole de la délivrance par les mots :
Quand ma mère eut fini l’histoire de Schéhérazade, je me suis mise à pleurer : « Mais comment apprendre à dire des histoires pour plaire à un roi ?[10]
Elle exulte et l’art des mots se profile devant elle comme idéal et décide d’y adhérer comme mode de réflexion, comme état d’être :
Ses contes me donnaient envie de devenir adulte, pour pouvoir, à mon tour développer des talents de conteuse. Je voulais, comme elle, apprendre l’art de parler la nuit.[11]
Les contes symbolisent l’accès à la parole. Et la nuit, synonyme de fanatisme et d’obscurantisme se dissipe sous l’effet et la magie des mots. C’est cette prise de parole qui permettra la conquête des droits -si ce n’est à court terme, du moins, à moyen et à long terme-
Le conte le plus populaire de tante Habiba, qu’elle réservait pour les grandes occasions, était celui de « la femme ailée » qui pouvait s’envoler de la cour quand elle le désirait.[12]
L’auteure a prêté l’art de la narration à une autre femme, elle, aussi fragilisée de par son déracinement, mais réhabilitée grâce aux mots, tout comme tante Habiba. Il s’agit de Yaya, l’épouse noire du grand-père :
En échange, elle promit de leur raconter une histoire chaque semaine. (…) Pendant la soirée des contes, toutes les épouses se réunissaient dans la chambre de Yaya, on apportait des plateaux de thé et elle parlait de son merveilleux pays natal.[13]
Ce n’est pas, par hasard que les moments des contes, moments hautement symboliques se déroulent à l’étage. La hauteur est à l’image de cet art qui transporte et sublime. C’est une adresse directe au lecteur avec l’emploi de la condition comme une invitation :
Si vous aimez les histoires, les étages supérieurs sont aussi le lieu idéal. Il faut grimper la centaine de marches de faïence qui débouchent au troisième et dernier étage de la maison, avec la terrasse attenante, où tout est blanc, spacieux et accueillant.[14]
Tout est connoté positivement, le champ lexical de la hauteur, doublé de la notion de la difficulté est scandé avec les termes suivants : les étages supérieurs, grimper, une centaine de marches, troisième et dernier étage, la terrasse. » Ajouté à cela, la magnificence de l’espace idéalisé, rendu comme l’éden ou le paradis avec des qualificatifs positifs : Blanc, spacieux, accueillant :
Les théâtres devraient toujours être en hauteur, sur des terrasses blanchies à la chaux, près du ciel.[15]
L’inspiration et la passion de la conteuse sont sacralisées car elles proviennent du « ciel », ce don a donc tout pour être vénéré, d’autant plus que le premier mot du livre sacré, le coran est une invitation à la lecture : « lis ». Tante Habiba avait ce rituel de déclencher la narration après un regard vers le ciel, espace immaculé duquel elle puise son savoir et s’en inspire :
Je remarquais qu’avant de reprendre son récit, elle fixait toujours du regard le petit carré du ciel au-dessus de nos têtes, comme pour remercier Dieu du talent dont il l’avait dotée.[16]
Et Mina, la déracinée fait partie des élues qui possèdent le privilège du don de la narration. Cette femme aux débuts précaires va voir sa vie et son statut à l’intérieur du harem évoluer grâce au pouvoir des contes, au pouvoir des mots. L’auteure prête ce don à des femmes exclues afin de signifier l’importance des mots dans la réhabilitation, la thérapie et la capacité à la résilience. Les trois conteuses : tante Habiba, Yaya et Mina sont dotées d’un tempérament calme, positif et flexible. A chaque fois, la narratrice s’adresse à elles, sur une tonalité affective, de quelqu’un qui a donné une promesse et s’en acquitte brillamment :
Oui, Mina, je vois ce que tu veux dire. Je le vois si bien. Il me suffit d’apprendre à sauter assez haut pour atteindre les nuages.[17]
Elles, dotées d’un don de prémonition ont prédit un avenir exceptionnel à la narratrice :
L’univers des mots devient ainsi promesse du bonheur : « Elle (La mère) a ajouté qu’il me suffisait de savoir pour le moment que mes chances de bonheur dépendaient de mon habilité à manier les mots. »[18]
Et encore plus, les souvenirs de ces contes vrais comme ceux de Mina, la déracinée constituent pour l’auteure, encore aujourd’hui, une source d’espoir et de force :
C’est une vision qui m’a hantée et me hante encore aujourd’hui. Chaque fois que je trouve le silence et le recueillement nécessaires pour me représenter cette image, je sens l’énergie et l’espoir renaître en moi.[19]
Trois femmes qui comptent dans le tissage de l’imaginaire de l’auteure. Ces contes, cette narration, cette « écriture à haute voix » comme dit Roland Barthes est une base essentielle de l’esthétique du plaisir du texte :
Ce qu’elle cherche (…) c’est un texte où l’on puisse entendre le grain du gosier, la patine des consonnes, la volupté des voyelles, toute une stéréophonie de la chaire profonde : l’articulation du corps, de la langue, non celle du sens, du langage. Un certain art de la mélodie peut donner une idée de cette écriture vocale.[20]
La sociologue et féministe a une conviction inébranlable dans le pouvoir des mots à changer la situation des femmes et à renforcer leur émancipation. Car c’est justement cette longue tradition d’anonymat » comme le rappelle la psychiatre Ghita El Khayat, dans son essai : Le Monde arabe au féminin. Asma lamrabet, féministe et héritière des idéaux de Mernissi rappelle lors d’une conférence cette conviction que lui répétait la sociologue : « L’écriture est l’une des formes anciennes des prières.» C’est cette conviction profonde et inébranlable dont parle aussi son éditrice, Mme Leila Chaouni, qui répondait à la question :
Comment le manuscrit de Fatna El Bouih vous-est-il parvenu ? Franchement je ne me souviens plus. Cependant, je pense qu’elle a dû me le remettre personnellement ou par une tierce personne. Il ne faut pas oublier que j’avais publié plusieurs livres d’Abdelkader Chaoui alors qu’il était toujours en prison. De plus j’étais l’éditeur de Fatima Mernissi qui était son professeur lorsqu’elle était en prison[21]
2. De la narration orale à la narration écrite, naissance des écrivaines :
Le deuxième mutisme est social : la femme « Comme il faut » ne parle pas, n’exprime pas sa pensée, ne gesticule, n’inscrit pas sa pensée à côté de celle des hommes. Enfin, la femme de Bien n’écrit pas car à la suite des autres phénomènes, l’écriture est expression, exhibitionnisme, exaltation de la pensée, exclamation sur soi et sur les autres. Ce qu’en aucune façon une Arabe ne se verrait octroyer et c’est quand elle aura arraché tous les droits précédents qu’elle se mettra à écrire.[22]
Comment alors passer du conte oral, du don de la narration verbale, du patrimoine orale au patrimoine écrit, à la littérature ?
Difficile parcours, pleins d’embuches et d’écueils. Les écrivaines Marocaines de langue française. Parmi la particularité des autrices marocaines, c’est leurs parcours intellectuels, à cheval entre la carrière scientifique et littéraire. C’est le cas de la pionnière, Fatima Mernissi, qui est à la fois anthropologue, sociologue et romancière, Ghita El Khayat est psychiatre, psychologue et femme de Lettres. Siham Benchekroun est médecin et femme de Lettres, Leila Slimani, est journaliste et femme de Lettres. Ces femmes qui créent la nouveauté dans une communauté où l’écrit a toujours été associé à l’homme bouleversent un code et tentent de s’imposer, soutenues par une conjoncture internationale où la question du genre, de la parité, de l’égalité deviennent partie intégrante de la modernité et des nouvelles sociétés modernes. Margaret Atwood, autrice de La Servante écarlate, roman culte, qui sait que l’écriture est une voix affirme que :
(...) Et puis il y a ceux qui n’ont jamais pu devenir écrivain parce qu’on ne leur en a pas donné la possibilité- comme tous les conteurs d’histoires et poètes de tradition orale d’Amérique du nord, d’Australie et de Nouvelle- Zélande, issus de cultures indigènes du passé et même du présent. Des portes s’ouvrent à travers le monde pour de telles voix, mais d’autres se referment. Nous devons être vigilants sur ce point. (…) Ne fermons pas les portes et n’étouffons pas les voix. (…) Et je dirai : « Oui, je peux t’entendre. Je peux entendre ton histoire. Je peux entendre ta voix. »[23]
Cependant, la littérature des écrivaines Marocaines de langue française n’est pas très connue et les écrits des autrices ne connaissent pas d’engouement car elles souffrent d’une invisibilisation. Ainsi pour pouvoir recueillir des données objectives au sujet de la question de la réception des écrits des écrivaines marocaines de langue française qui sont à la fois lecteurs et acteurs majeurs dans l’enseignement des œuvres au programme scolaire du cycle secondaire qualifiant, nous avons effectué un sondage anonyme auprès des enseignants et enseignantes de la langue française aux cycles secondaire collégial et qualifiant, dans la période allant de 2018 à 2019.[24] Il s’agit d’un échantillon de 63 professeurs, mais nous avons ventilé 200 questionnaires. Cette enquête a englobé les établissements publics et privés, des délégations de Rabat et Salé, de la Région de Rabat-Salé-Kenitra. Les deux délégations de l’échantillon font partie de l’axe des grandes villes, d’où des pratiques de lecture plus larges et plus sollicitées. Pour la question : « Vous intéressez-vous à la littérature des écrivaines Marocaines de langue française ? » Dans l’échantillon « Femmes» : 9% (Pas du tout), 61% (Peu), 30% (Beaucoup). Dans l’échantillon « Hommes» :13%, (Pas du tout), 54% (Peu), 33% (Beaucoup). Si nous additionnons, les résultats de non connaissance de cette littérature, cela avoisine les 70%. Un chiffre très révélateur de la situation de l’écrit, de la culture de la littérature et des habitudes de lecture chez la population dans la société marocaine.
Une autre question était nécessaire, c’est au sujet des choix des écrivaines les plus connues, les plus lues en vue d’évaluer le goût des lecteurs, ainsi que leurs horizons d’attente.
« Citez les écrivaines que vous connaissez ou qui vous marquent. ».
C’est Fatima Mernissi qui obtient le meilleur score avec : 65%, suivie de loin de la lauréate du prix Goncourt : Leila Slimani, qui, malgré sa notoriété n’a obtenu que : 19%, étroitement concurrencée par l’écrivaine Malika Oufkir qui s’octroie la troisième place sur le podium, avec 18%. Des pionnières, telles : Zakia Daoud, Ghita El Khayat obtiennent des scores faibles, tout comme, Siham Benchekroun avec juste 11%, Bahaa Trabelsi, Nadia Chafik, Rajaa Benchemsi : 6% et le résultat est encore plus affligeant pour l’essayiste : Asma lamrabet, qui totalise un score de 2%, avec les écrivaines : Boutaina Azami, Fatima Bouih, Maria Charaf, Aicha Chenna, Ahlam Moustaghalmi
Nous avons posé une autre question au sujet des romans : « Citez les romans des écrivaines Marocaines que vous avez lus ou que vous avez achetés. »
Les réponses concordent pour donner la primauté aux écrits de Mernissi avec : 23% pour le roman : Rêves de femmes, une enfance au harem, La Prisonnière de Malika Oufkir, obtient : 10% et en troisième place arrive le roman primé du Goncourt en 2016 de Leila Slimani : Chanson douce, ex-aequo avec Oser vivre de Siham Benchekroun, totalisant 8%. Le Harem politique, Islam et démocratie, de Mernissi et Au-delà de toute pudeur Soumaya Guessous, avec 5%. Les livres suivants obtiennent le score de 3% : Dans le Jardin de l’ogre de Leila Slimani, Le Monde n’est pas un harem, de Fatima Mernissi, L’Etrangère, de Malika Oufkir et Zayneb, Reine de Marrakech, de Zakia Daoud. Des livres comme : La Liaison de Ghita El Khayat, La Chaise du concièrge, de Bahaa Trabelsi, Amoureuses, Chama de Siham Benchekroun, obtiennent juste 2%. Un triste score pour des écrits littéraires d’importance.
Nous avons posé la question pour comprendre les raisons de cette méconnaissance et ce désintérêt, les enquêtés avancent des raisons similaires : l’absence de publicité et de visibilité de cette littérature. 77%, dans l’échantillon « femmes » et « 70% » dans l’échantillon « Hommes » sans oublier qu’il y a aussi des réticences, des construits, des clichés qui refusent le champ littéraires à des plumes de romancières : 15%, échantillon « femmes » 30%, échantillon
« Hommes » disent être indifférents à cette littérature.
La dernière question de l’enquête évaluait la perception des enquêtés vis-à-vis de cette littérature : « Le Ministère de l’enseignement devrait-il programmer les écrivaines Marocaines dans les différents cycles scolaires et académiques ? » 94% dans l’échantillon » Femmes » et 87% dans l’échantillon » Hommes ». Ce résultat montre, d’une part que la population marocaine de plus en plus ouverte intègre que l’écriture est aussi un droit de la femme et que les écrivaines sont capables de création littéraire tout comme les écrivains, d’autres part, l’institution demeure le lieu privilégié pour la promotion des écrivains et des écrivaines.
En fait, l’institution scolaire a un grand rôle pour la promotion de la littérature des écrivaines Marocaines de langue française. Cette littérature est marquée par le sceau de l’engagement. C’est l’une de ses principales caractéristiques. Le militantisme traverse et constitue la trame d’une grande partie des œuvres. L’école doit être un créneau qui diffusera à travers la littérature les concepts des droits de la femmes, de l’égalité, de la parité, du rejet de la culture du sexisme, du patriarcat et de la violence contre les femmes. Le statut que revêt la littérature lorsqu’elle est canonisée dans le programme scolaire est certain car le manuel scolaire si ordinaire, si habituel pour nous possède des pouvoirs inestimables, car :
A travers les connaissances, mais aussi à travers les opinions sur l’organisation sociale et politique d’un pays, le manuel comporte des appels qui s’adressent à l’élève, lui suggèrent ce qu’il faut aimer et respecter et ce qu’il faut haïr et mépriser. Le manuel participe ainsi à la construction du système de valeurs de l’élève. Il lui transmet des modèles d’identification, lui trace des idéaux et l’oriente, contribuant ainsi au renforcement de son Surmoi.[25]
Dans les Règles de l’art, Pierre Bourdieu souligne le rôle majeur de l’institution scolaire pour la canonisation et la consécration des écrivains et des écrivaines :
Ainsi l’opposition est totale entre les best-sellers sans lendemain et les classiques, best-sellers dans la longue durée qui doivent au système d’enseignement leur consécration, donc leur marché étendu et durable. [26]
Si l’autrice de langue arabe Leila Abou Zaid (1950) a eu le privilège de figurer dans le manuel scolaire marocain de la troisième année collégial avec la première autobiographie d’une marocaine : Retour à l’enfance, « FI Attoufoula » paru en 1993 et le collégien marocain est tenu de lire son œuvre littéraire, Fatima Mernissi Ghita El Khayat, Bahaa Trabelssi et bien d’autres n’ont pas eu cette chance même si leurs premiers livres remontent déjà à 1994, ce qui handicape l’accès à un très large public. Siham Benchekroun est la première écrivaine marocaine à avoir le privilège de voir une partie de son œuvre inscrite au manuel scolaire. C’est un manuel français,[27] adapté au programme marocain. Une reconnaissance dont s’enorgueillit la romancière et conteuse marocaine qui l’affiche en permanence sur sa page Facebook. Ce manuel, soucieux d’inculquer aux apprenants les idéaux du respect de la femme et de ses droits, offre dès les classes primaires des extraits de textes et des poèmes qui convergent dans la thématique des droits de la femme, de l’égalité et de l’émancipation. Et comme Le manuel scolaire renferme à la fois un aspect cognitif et un aspect idéologique, ce qui le dote d’un pouvoir considérable dans :
la transmission, de manière plus ou moins explicite, de modèles de comportement sociaux, de normes et de valeurs [28]
Dans son Dans son cinquième rapport sur l’état de l’édition et du livre au Maroc, en littérature et sciences Humaines et sociales, pour l’année 2018 - 2019, la Fondation du roi Abdul Aziz Al Saoud de Casablanca souligne que les écrits masculins en langue arabe dominent de loin ceux des femmes avec 83%. Le rapport ajoute que la production des autrices marocaines, en langue française constitue 23,45 %, de la production qui dépasse la production moyenne en français qui s’élève à 18,35 %.[29] Le rapport déplore le recul continu de la production de la littérature d’expression française qui ne représente que 19% de la production, face à la production en arabe qui s’élève à hauteur de 74%.Ce qui reflète : « Les évolutions culturelles et linguistiques profondes que connaît l’université et le champ culturel marocains depuis les années 1980.[30]
Remarquons, par ailleurs que le roman demeure le genre privilégié chez les écrivaines marocaines de langue française. Cette tendance à privilégier le roman comme genre littéraire a aussi été observée lors de l’enquête au sujet de La Réception des textes littéraires maghrébins dans l’institution scolaire marocaine, « L’ensemble du genre romanesque obtient 126 voix, soit 56,5% alors que tous les autres genres proposés atteignent 97, soit 43,4%.[31] »[32]
Les réponses ne mentionnent aucune écrivaine franco-marocaine, comme Meryem Alaoui, Safia Azzeddine dont les romans sont d’inspiration marocaine ou encore l’hispano-marocaine : Najat El Hachmi, lauréate du prix Nadal du roman en 2021, l’un des prestigieux prix littéraires en Espagne. L’histoire littéraire Marocaine de langue française compte aujourd’hui des écrivaines qui enrichissent par leur talent le champ littéraire Marocain. Ainsi entre 2018 - 2019 - 2020, la production littéraire est en nette augmentation, le tableau, non exhaustif, présenté ci-après en annexe, nous le confirme.
Conclusion :
Si la Marocaine a « une longue tradition d’anonymat »[33], aujourd’hui, les écrivaines marocaines conquièrent le champ littéraire pour offrir des productions littéraires, allant de la poésie, passant par les nouvelles et jusqu’au roman. C’est le genre privilégié des autrices marocaines. C’est une écriture marquée par le sceau de l’engagement. Et l’écriture devient acte citoyen de contribution dans le développement d’une nation. L’enquête nous révèle la méconnaissance de cette littérature et le rôle des différents relais est nécessaire, notamment l’institution scolaire, en vue de donner de la visibilité à un patrimoine, à des talents et à une création car : « Il y a nécessité historique, tactique et politique à ce que les femmes écrivent et soient lues. »[34]
Tableau des publications des écrivaines marocaines de langue française 2018 - 2019 - 2020 :
Les écrivaines | Les ouvrages |
---|---|
Bahaa Trabelsi | Souviens-toi qui tu es. Casablanca, Ed : La Croisée des chemins, 2019. |
Najat Dialmy | Des miettes de bonheur, Rabat, Ed : Marsam, 2020. |
Leila Slimani | Le pays des autres, Paris, Ed : Gallimard, 2020. |
Touria Oulahry | Aime-moi et je te tue. Casablanca, Ed : Virgule, 2019. |
Souad Jamai | Des ailes de papier, Casablanca, Virgule Edition, 2019. |
Meryem Alaoui | La vérité sort de la bouche du cheval, Paris, Gallimard, 2018. |
Nadia Essalmi | La Révolte des rêves. Casablanca, Ed : Virgule, 2018. |
Azami- tawil Bouthaina | Fiction d’un deuil, Rabat, Ed : Marsam 2019. |
Azami- tawil Bouthaina | Le Cénacle des solitudes, Rabat, Ed. Marsam, 2019. |
Loubna Serraj | Pourvu qu’il soit de bonne humeur, Casablanca, Ed. La Croisée des chemins, 2020. |
Linda Chiouar | Leilla au pays des benzo , Casablanca, Orion Edition, 2020. |
Bibliographies
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Sitographie
François Busnel, Philippe Labro, invité de La Grande Librairie, mercredi 30 septembre 2020, sous le thème : La transmission, le partage. Disponible sur : https://www.facebook.com/watch/?v=655102505183609, consulté le 5- 03- 2020.
Notes
[1] Reid, M. (2010) Des Femmes en littérature. Paris : Belin, p. 28.
[2] El Khayat, Ghita. (1986) Le Monde arabe au féminin, Casablanca : Eddif, p. 306.
[3] Ibid.
[4] Ibid. p. 306.
[5] Mernissi, F. (1994) Rêves de femmes, une enfance au Harem, une enfance au harem. Paris : Albin Michel p. 110.
[6] AWSA-Be asbl 2014 www.awsa.be avec le soutien de la FWB.
Disponible sur : http://awsa.be/uploads/Fatima_Mernissi_outil.pdf, consulté le 10- 2- 2019.
[7] Mernissi, F. (1994) Rêves de femmes, une enfance au Harem, op.cit., p. 20.
[8] Ibid. p. 22.
[9] François Busnel, Philippe Labro, invité de La Grande Librairie, mercredi 30 septembre 2020, sous le thème : La transmission, le partage.
[10] Mernissi, F. (1994) Rêves de femmes, une enfance au Harem, op.cit., p. 18.
[11] Ibid. p. 22.
[12] Ibid. p. 24.
[13] Ibid. p. 54.
[14] Ibid. p. 20.
[15] Ibid. p. 110.
[16] Ibid. p. 203.
[17] Ibid. p. 165.
[18] Ibid. p. 18.
[19] Ibid. p. 166.
[20] Gilles, Ph. et Piat, J. (2009) La langue littéraire, une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, (Roland Barthes, (1973) a 2002, 261.) Paris : Fayard, p. 86.
[21] Ghachem Béchir, entretien avec Layla B. Chaouni Fondatrice des Editions Le Fennec A propos de Fatna El Bouih 07 mai 2018 : pour la préparation d’un mémoire de Master au sujet de la violence carcérale et le genre.
Genre, Mémoire, Témoignage De la violence carcérale de genre dans les années de plomb au Maroc à travers l’écriture testimoniale de Fatna El Bouih : p. 196.
[21] Meschonnic, H. (1985) Les états de la poétique, Paris : Ed, Puf, p. 20.
[22] El Khayat, Ghita. (1986) Le Monde arabe au féminin, op.cit., p. 307.
[23] Atwood, M. ( 1985) La Servante écarlate, Paris : Ed, Robert Laffont, p. 25-26. (Discours prononcé par Margaret Atwood, le 15 octobre 2017, à Francfort, à l’occasion de sa réception du prix de la Paix des libraires allemands et traduit de l’anglais (Canada) par Patrick Dusoulier.
[24] Questionnaire, réalisé, courant 2018 - 2019, auprès des professeurs du secondaire collégial et qualifiant. 69 questionnaires ont été ventilés vendredi, 14- 6- 2019, au lycée Abi Bakre al kadiri, à Salé, lors des corrections de l’examen de la 1ère année du baccalauréat, session 2019. (Les journées de corrections rassemblaient une centaine de professeurs. 7 m’ont remis les réponses le jour même, les autres après. Plusieurs collèges et lycées à Rabat avaient aussi reçu ce questionnaire.) Voir le questionnaire en Annexe.
[25] Ansart, 1984, Cité par Cromer et Hassani-Idrissi, 2011, 2.
Disponible sur : https://journals.openedition.org/edso/2014
[26] Bourdieu, P. (1992) Les Règles de l’art, genèse et structure du champ littéraire, Paris : Seuil, p. 245.
[27] Potelet, H. (2010) Rives bleues, Paris : Hatier, p. 229.
[28] UNESCO : Comment promouvoir l’égalité entre les sexes par les manuels scolaires ? Guide méthodologique à l’attention des acteurs et actrices de la chaîne du manuel scolaire. Paris, 2008. : UNESCO. p. 14.
[29] La Fondation du roi Abdul Aziz Al Saoud, Rapport annuel sur l’état de l’édition et du livre au Maroc, dans les domaines de la littérature, des sciences humaines et sociales (2018- 2019), Casablanca, 2020.
Disponible sur : http://www.fondation.org.ma/web/article/209
[30] Ibid. p. 14.
[31] Leila Aboussi, Réception des textes littéraires maghrébins dans l’institution scolaire marocaine - Université Paris Lumière, Thèse de doctorat, 2010. Enquête effectuée en 2007- 08 auprès d’un échantillon de 50 professeurs exerçant dans trois délégations du Ministère de l’éducation Nationale du Sud Marocain : Agadir Idaoutanane, Inezgane Ait Melloul et Tiznit.
[32] Aboussi, L. (2010) La Réception des textes littéraires maghrébins dans l’institution scolaire marocaine, Thèse de doctorat, soutenue, le 4 janvier Renne2, sous la direction de M. Marc GONTARD.
Disponible sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00551694/document.
[33] El Khayat, Gh. (1986) Le Monde arabe au féminin, op. Cit., p. 156.
[34] Ibid. p. 306.