Gérard Pelé
Professeur émérite à l'université Paris1-Panthéon Sorbonne
Ce que nous désignons comme étant du sport n’existait probablement pas aux temps préhistoriques. Dans ces époques, les hominidés n’auraient d’ailleurs guère eu le besoin de distinguer ce qu’ils pratiquaient quotidiennement pour se déplacer, se nourrir, s’abriter. Par contre, ils avaient développé des « pratiques » dont les traces, encore visibles, évoquent l’existence de « cultures » : des vestiges de peintures, de gravures ou de sculptures, aussi bien à l’air libre qu’à l’intérieur de grottes – entre autres manifestations. L’exposition « Arts et Préhistoire » (16 novembre 2022 - 22 mai 2023) du Musée de l’Homme à Paris en a porté témoignage, et on n’y voit rien qui pourrait évoquer le sport. Par conséquent, il est plus prudent de situer l’émergence de pratiques pouvant être rangées dans ce registre plus tardivement avec, par exemple, les « arts martiaux » des anciennes civilisations chinoises, ou encore le « jeu de balle » qui fut un rite pratiqué pendant plus de 3 000 ans par les peuples précolombiens de la Mésoamérique. Plus « proches » de nos cultures, on pourrait mentionner l’exercice de l’athlétisme, attesté dès l’antiquité égyptienne, puis les jeux de la civilisation grecque antique avec, principalement, les sports gymniques, et enfin ceux de la civilisation romaine et leur goût marqué pour le pugilat et la lutte, ainsi que la course de chars popularisée par les péplums.
Bien sûr, on pourrait formuler quantité d’hypothèses pour tenter d’expliquer l’émergence de ces pratiques qui n’étaient pas encore « le sport » au sens moderne de ce terme, certains historiens affirmant qu’il ne fut défini qu’après coup, en Angleterre dans les années 1820-1850, puis en France à partir de 1888 avec, notamment, Pierre de Coubertin… Et même si certains de ses aspects avaient déjà été esquissés avec, par exemple, François 1er (roi de France) qui, par « lettres patentes » du 9 novembre 1527, officialisait, en quelque sorte, le « sport professionnel », en particulier le jeu de paume, en mettant sur le même plan les gains de ceux qui s’y adonnaient et les revenus du travail. Mais pour ce qui est des sports « primitifs », qu’on nomme plus volontiers « jeux », on ne connaît pas vraiment les raisons de leur invention : distraction, entretien du corps (et de l’esprit ?), éducation ou culture « physique », entraînement pour d’autres buts, la guerre par exemple, comme ce fut le cas des joutes médiévales ? En revanche, on a la preuve que dès l’antiquité grecque le sport était devenu un spectacle.
En témoigne notamment le site d’Olympie, un sanctuaire dédié à Zeus, et c’est d’ailleurs sous son égide que des « jeux » auraient été organisés tous les quatre ans à partir de 776 av. J.-C., date de la paix entre Lycurgue, roi et législateur de Sparte, et le roi Iphitos en Élide… Cette datation restant toutefois incertaine, certains historiens les faisant même remonter au IXe siècle av. J.-C. On prête néanmoins à Iphitos, à qui l’oracle de Delphes aurait affirmé qu’avec les trêves associées à leur tenue – ses participants ne pouvant être en même temps à la guerre et aux jeux – ils pourraient permettre de trouver des remèdes aux guerres qui dévastaient la Grèce, l’initiative de leur établissement dans cette périodicité. Au moment de ces jeux, on a estimé à près de 40 000 le nombre de personnes présentes sur le site, comprenant les athlètes, les spectateurs, les marchands, des artisans, des poètes, des sculpteurs et des architectes. Du côté de la Rome antique, fondée vers 753 av. J.-C., l’instauration de « jeux » par Tarquin l’ancien aurait eu lieu vers 600 avant notre ère – Ludi magni, Ludi Romani. Moins strictement « gymniques » ou « sportifs » que ceux des Grecs, ils associaient à un peu d’athlétisme des combats d’animaux et de gladiateurs, des courses de chars, de la lutte et de la boxe – et même des spectacles aquatiques ainsi que du théâtre –, et eurent une périodicité annuelle à partir de 208 av. J.-C. Pour Juvénal qui les évoque dans ses Satires composées entre 90 et 127, ils auraient surtout eu pour fonction d’assurer la « paix sociale » : panem et circenses, selon son expression. Souvent traduite par « du pain et des jeux », elle pointe aussi vers le « monde du cirque » puisque « circus » peut désigner l’enceinte à ciel ouvert ou couverte d’un vélarium où ils étaient pratiqués.
Guerres de grande ampleur ou conflits sociaux limités ? Peu importe, car les groupes humains se sont toujours plus ou moins opposés pour la défense des territoires de chasse ou de cueillette, puis celle des terres cultivées, puis celle de toutes les ressources que ces territoires pouvaient fournir, y compris les possessions de ses occupants… Sans compter les luttes pour des ressources vivantes : les individus valides pour la traite, le bétail, les femmes pour la reproduction… Or, outre que ces affrontements pouvaient durer et sembler ne pas devoir connaître d’issue quand les forces en présence étaient sensiblement équilibrées, ils provoquaient aussi quantité de dégâts, sur le plan humain cela va sans dire, mais parfois aussi sur les biens convoités au point de menacer l’entreprise belliciste au niveau même de ce qui l’avait d’abord motivée. Il fallait alors qu’une des parties se résolve à la retraite, ou que les deux acceptent une trêve afin qu’un nouveau partage puisse avoir lieu. Et ces négociations n’avaient pas toujours pour seule finalité d’obtenir un répit par la cessation temporaire des combats : parfois, elles permettaient qu’un traité – le « doux commerce » cher à Montesquieu – vienne rétablir les conditions d’une « bonne entente » et réduire les risques d’un nouvel affrontement, par le simple fait qu’une fois cette interdépendance instituée, en détruisant les richesses de « l’autre » dans une nouvelle guerre on s’appauvrirait soi-même. Il faut néanmoins noter que ni les trêves imposées par l’épuisement des moyens de poursuivre un conflit, ni celles qui avaient été ritualisées par les « jeux d’Olympie » n’ont jamais pu empêcher la reprise d’hostilités, et qu’elles n’ont jamais été « universelles ».
Cependant, le sport et son spectacle ont pu être proposés pour renforcer ou compléter ce commerce comme autant d’adjuvants aux traités qui l’organisaient, et il semble bien que ce fut le cas avec l’instauration des premiers « jeux » qui ont promu des « luttes » moins meurtrières, ou du moins à létalité limitée, même si l’entraînement physique spécifiquement militaire était maintenu chez les Grecs comme chez les romains de l’Empire. La compétition sportive – le sport en général, et son spectacle – aurait donc, comme la tragédie, une vertu cathartique, quasi rédemptrice, à même de détourner les hommes de violences plus dommageables pour les biens et les individus. Ainsi compris, le sport ferait indéniablement partie de la culture, sachant toutefois que cela reviendrait à, plus ou moins, assimiler la culture à un négoce. Naturellement, il ne faut pas être naïf car les objets culturels sont aussi, et indissociablement, des marchandises… Et dans beaucoup de cas, des marchandises comme les autres : des biens de consommation. Mais la culture elle-même, celle qui est inscrite au patrimoine de l’humanité comme une partie de ce patrimoine par l’UNESCO, peut-elle être « marchandisée » ? La musique Gnaoua, par exemple, inscrite à ce patrimoine depuis 2019, peut-elle être un bien privé, comme toute marchandise ? Certes, on peut en commercialiser le spectacle ou des enregistrements, mais peut-on échanger, ou vendre, ses usages rituels ? Et si la musique Gnaoua a désormais une valeur d’échange, cela empêche-t-il que sa valeur d’usage puisse subsister pour quelques « initiés » ?
Il en va tout autrement du sport car, comme mentionné supra avec l’exemple du jeu de paume, cela fait bien longtemps que le « sport amateur » n’est plus qu’un fantasme, et on pourrait même remonter aux jeux de la Rome antique pour lesquels les riches patriciens s’arrachaient déjà les gladiateurs les plus « performants » à prix d’or, comme aujourd’hui les clubs de football financés par une poignée de multimilliardaires se disputent les joueurs talentueux dans cette discipline. Et on pourrait légitimement poser la question de savoir à quoi correspond ce que l’on désigne comme les « valeurs » de sports qui n’existent plus que par ce commerce, qui n’ont plus guère de valeur que d’échange. Quelle est la valeur d’usage du sport ? Quelle est la pratique sportive qui pourrait avoir une valeur d’usage, ou, si l’on voulait être moins radical, quelle pratique sportive pourrait en même temps avoir une valeur d’échange et une valeur d’usage ? Et pour qui ? Pour le sportif sur le terrain, pour le « staff » et les dirigeants de son club, pour le financier qui est leur employeur, pour le « supporter » dans son canapé ou dans un bar, pour vous, pour moi ? Qu’est-ce que cela signifie quand on dit : « on a gagné » ? Ce « on », désigne-t-il la France, ou le Maroc, ou le financier, ou le « staff », ou le club, ou l’équipe, ou le sportif ?
Ce fantasme des « valeurs » du sport à laquelle nous avons tous adhéré, ne fût-ce qu’occasionnellement, est un mythe : celui de la victoire du faible sur le puissant, celui de David contre Goliath, qui est une fable présente dans toutes les civilisations de toutes les époques. La véritable force du sport, c’est celle d’un mythe. C’est le geste héroïque offerte aux « supporters » qui sont ses consommateurs et, en fin de compte, ses financeurs, en compensation de leur exclusion des profits qu’il engendre pour une petite caste. C’est pourquoi il s’est imposé et s’imposera encore, quoi qu’on en dise. Mais ça n’empêche pas d’être lucide sur cette passion. On pourrait par exemple s’appuyer sur les thèses de Jean-Marie Brohm, ex-professeur d’éducation physique et sportive, devenu professeur de sociologie à l’Université Paul-Valéry de Montpellier et membre de l’Institut ACTE (École des Arts de la Sorbonne), qui a mené une réflexion de fond sur la nature du sport de compétition et le statut du corps dans nos sociétés. Au fil des années, il a élaboré une théorie critique radicale, empruntant notamment à l’histoire et à l’anthropologie afin d'échafauder une « sociologie du sport » dont on trouvera la trace dans les revues « Quel corps ? » (1975-1997) et « Quel sport ? » qui en a repris la thématique depuis 2007.
Dans une interview qu’il donnait pour la revue SWAPS en novembre 1998, il estimait que, contrairement à ceux qui voyaient dans les « affaires » qui agitaient (déjà) le monde sportif de cette époque (il évoquait le dopage) l’expression de pratiques « contraires » aux règles d’une activité humaine fondamentalement inoffensive, on devrait plutôt y constater la confirmation du caractère foncièrement mortifère du sport de compétition, et en exposait les thèmes principaux selon trois axes :
Le sport n’est pas simplement du sport, c’est un moyen de gouvernement, un moyen de pression vis-à-vis de l’opinion publique et une manière d’encadrement idéologique des populations et d’une partie de la jeunesse, et ceci dans tous les pays du monde, dans les pays totalitaires comme dans les pays dits démocratiques. On a pu s’en apercevoir au cours de ces grands évènements politiques qu’ont constitué les jeux olympiques de Moscou, les championnats du monde de football en Argentine et, plus récemment, en France.
Le sport est devenu un secteur d’accumulation de richesse, d’argent, et donc de capital. Le sport draine des sommes considérables, je dirais même, qu’aujourd’hui, c’est la vitrine la plus spectaculaire de la société marchande mondialisée. Le sport est devenu une marchandise-clé de cette société.
Dernier point, l’aspect proprement idéologique. Le sport constitue un corps politique, un lieu d’investissement idéologique sur les gestes, les mouvements. On le voit par exemple pour les sports de combat. C’est aussi une valorisation idéologique de l’effort à travers l’ascèse, l’entraînement, le renoncement, le sportif étant présenté comme un modèle idéologique. Par ailleurs, le sport institue un ordre corporel fondé sur la gestion des pulsions sexuelles, des pulsions agressives, dans la mesure où, paraît-il, le sport serait un apaiseur social, un intégrateur social, réduirait la violence, permettrait la fraternité, tout ce discours qui me semble un fatras invraisemblable d’illusions et de mystifications. Nous avons donc radiographié le sport à partir de ses trois angles : politique, économique, idéologique.
Et trente cinq ans après la création de la revue « Quel corps ? », la revue « Quel sport ? » publiait un numéro intitulé « Football, une aliénation planétaire » dans lequel étaient évoqués ses travaux avec « une critique de ce qu’il n’est pas permis de critiquer », à savoir le sport de compétition comme nouvel « opium du peuple », sachant que, entre-temps, Jean-Marie Brohm avait fait paraître, avec Marc Perelman, un ouvrage intitulé : Le football, une peste émotionnelle : La barbarie des stades (2006).
Cependant, la revue « Quel sport ? » mentionnait un article de 1978, « Histoire et analyses socio-politiques de la Coupe du monde de football - Objectifs politiques, acquis critiques », dans lequel il exposait ses thèses : la mondialisation du football à travers la Coupe du monde y était décrite comme l’« extension et la consolidation de l’impérialisme » ; il estimait qu’au football, en tant que sport-spectacle, était lié « dès son origine un enjeu politique considérable », avec des intérêts capitalistes et nationalistes, et que les discours des journalistes sportifs réduisant les atteintes aux droits de l’homme à de simples « excès » étaient de pieux mensonges ; enfin, qu’au-delà d’être, effectivement, une « fête populaire », le football avait toujours été au service d’une politique réactionnaire visant à « camoufler la réalité sociale, servir de diversion, distiller le chauvinisme et les préjugés bourgeois, obscurcir la conscience de classe ouvrière ». Les auteurs du numéro paru en 2010 de « Quel sport ? » tentaient donc, en citant Jean-Marie Brohm, de briser les illusions des « amoureux du football » en expliquant que ce sport et, plus généralement, le sport de compétition, n’étaient « pas innocents » et que ses « grandes messes » avaient souvent servi à légitimer diverses dictatures et des régimes autoritaires, citant notamment la Coupe du monde de 1934 en Italie, les Jeux Olympiques de Berlin en 1936, le Mondial de 1978 en Argentine, les Jeux Olympiques de Pékin en 2008, et les Jeux Olympiques de Sotchi en Russie programmés pour 2014.
Dans un autre article de ce même numéro – « La critique radicale du sport, expliquée aux pseudos critiques ou à ceux qui n’ont jamais été critiques » –, Jean-Marie Brohm adoptait le ton, devenu outrancier, de la revue « Quel sport ? », dénonçant les « idéalistes » qui voudraient nier sa réalité sordide et s’imaginent pouvoir réformer le sport-spectacle. Il s’en prenait notamment à ceux qui, comme Christian Bromberger, « fidèle au populisme ethnographique », définissent le sport comme une pratique culturelle. Pour lui, « le sport est précisément une anti-culture, non seulement parce qu’il contredit toutes les valeurs qui fondent la vraie culture (littérature, arts, humanités, éthique, philosophie), mais aussi parce qu’il parasite la culture en se présentant comme un ersatz de culture, précisément la culture du pauvre, de l’inessentiel, du médiocre, du vulgaire ».
On en revient donc à la problématique culturelle qui, effectivement, est aussi une question de classe sociale. Comme cela a été avancé dans la première partie de ce texte, « le sport [fait] indéniablement partie de la culture », car une « anti-culture » est encore une forme de culture qui, simplement, s’oppose à la culture des classes dominantes. Le sport fait partie de la culture, ne serait-ce que comme « fait social » – un concept forgé par Émile Durkheim en 1895 –, et peut-être même comme « fait social total », c’est-à-dire comme un fait qui concernerait toute une société selon la définition proposée par Marcel Mauss (Essai sur le don, 1923-1924). Mais du coup, quant à savoir ce que devrait être « la vraie culture », il ne semble pas qu’on en puisse donner une définition qui serait universellement admise comme l’aurait voulu Jean-Marie Brohm. En revanche, on pourrait peut-être distinguer, avec Marcel Mauss justement, ce que l’on peut « échanger » et ce qui n’a « pas de prix » : pour Georges Bataille (cf. revue Documents, 1929-1931), l’œuvre d’art elle-même ne serait qu’un fétiche « transposé », mis « hors d’usage », dégradé en marchandise, cette proposition étant elle-même un élargissement de la critique du « fétichisme de la marchandise » que Karl Marx avait développée en 1867 dans Le Capital, et annonçant celle de la « société du spectacle » de Guy Debord (1967). Pour ce dernier, l’accumulation des spectacles prolongeait et complétait celle des marchandises : « le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ». Dans l’exemple de la musique Gnaoua évoqué supra, « l’œuvre » proprement dite – spectacle ou enregistrement – est transmissible, donc c’est une marchandise ; tandis que le rituel vécu par ceux qui y sont impliqués ne laisse rien subsister qui pourrait être transmis, n’étant inscriptible sur aucun support, ni dans aucun média.
Cependant, ce rituel, ce vécu donc, ne correspond pas non plus à la « vraie culture » selon Jean-Marie Brohm, avec ses catégories et ses valeurs soigneusement délimitées par une idéologie qui s’inscrit dans la lignée de celles de Kant et Hegel, ou de Theodor Adorno (Le Caractère fétiche dans la musique et la régression de l’écoute, 1938) qui souhaitait un « art responsable » conçu et reçu par des individus éduqués sachant distinguer le « vrai » du « faux », et pour qui les spectacles « populaires » ne pouvaient être que « régressifs ». Mais Georges Bataille distinguait, plus subtilement, une « valeur d’usage » tournée vers l’utilité technique, sociale ou économique, et une « valeur d’usage » orientée vers le sacré : « Ce qu’on aime vraiment, on l’aime dans la honte et je défie n’importe quel amateur de peinture d’aimer une toile autant qu’un fétichiste aime une chaussure (Documents, n° 7, 1930). » En transposant son propos, on pourrait dire que, si le « sport-spectacle » n’entre pas dans les catégories et les valeurs de la « vraie culture » ou d’une supposée « culture responsable », ce n’est pas parce que ce serait une « sous-culture », indigne de la considération des personnes véritablement « éduquées », mais simplement parce qu’y sont impliqués des intérêts financiers et politiques qui occasionnent quantité de dommages humains et environnementaux ; parce que, dans le « sport-spectacle », le sacré y serait défaillant.
Et il serait illusoire de vouloir « sacraliser » le spectacle du sport au motif que quelques individus pourraient se comporter, dans son « usage », comme des « fétichistes », car cela reviendrait à le réduire à un simple objet transitionnel. L’idée d’une dimension « sacrée » du sport avait pourtant été avancée par Pierre de Coubertin qui, dans une allocution prononcée en 1935 (accessible sur le site de l’INA) alors qu’il collaborait à la préparation des jeux olympiques de 1936 organisés par le pouvoir nazi, affirmait que « la première caractéristique de l’olympisme […] est d’être une religion », ajoutant que « l’athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau ». Il référait à la tradition grecque en rappelant que leurs « jeux » étaient, en effet, organisés sous l’égide de Zeus, mais il faisait, au passage, un contresens en traduisant le grec « génos » qui renvoyait à la « lignée », ou à la fratrie, par « race ». Du coup, cela montrait bien la contamination des « valeurs du sport » qu’il voulait promouvoir par la politique au service de laquelle il s’était mis, de même que lorsqu’il vantait les « progrès de la science » qui serait, de plus en plus, en mesure de fournir des « moyens de cultiver son corps », de « redresser la nature » ou de nous protéger de nos « passions déréglées ». On ne peut qu’admettre que ce genre de discours ajoutait un risque d’endoctrinement des amateurs de sport et de ses consommateurs à celui de son instrumentalisation au service d’intérêts financiers. Mais il faut également admettre que ces discours et ces intérêts étant inhérents au fonctionnement des sociétés modernes, ils existaient avant Pierre de Coubertin, et ont perduré après lui, jusqu’à nos jours.
Ne faudrait-il pas, alors, convenir que, si le spectacle du sport avait vocation, en tant que « soft power », à pacifier les relations humaines, il ne pourrait y parvenir par lui-même sans qu’en soient exclues les « valeurs » patriotiques, raciales ou communautaires ? Sans qu’en soit exclue la part spéculative de son économie ?