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Une lecture de La Tunisianité au pluriversel de Mohamed ZINELABIDINE (Première partie)


Prof. Bouazza BENACHIR




Prof. Bouazza BENACHIR


Laboratoire Langues, Littératures, Arts et Cultures, Facultés des Université Mohammed V, Rabat, Maroc.

Laboratoire Littérature, Arts et Ingénierie Pédagogique, Université Ibn Tofail, Kénitra, Maroc.



 

Première partie

 

La lecture de cet opus aréal de l’écrivain et penseur tunisien Mohamed Zinelabidine, présuppose, au travers de son Ante- scriptum, de ses sept Epitres et de son Post-scriptum, le démantèlement de la chape de plomb qui pèse sur les sciences humaines et sociales, et de faire des brèches dans les préjugés colportés par cette chape pour accéder à la présence de l’« impensé » ou de l’indivisible en particulier dans ces sciences version maghrébine ou arabo-musulmane, en en parlant de différentes façons. Ce livre martèle philosophiquement, esthétiquement, socio-politiquement, de manière plus large que ce qui se fait actuellement car il effectue des ouvertures à et vers des pratiques épistémiques entées sur une géopolitique du savoir créative et délestée du poids des horizons heuristiques bloqués ou importés. Une des façons de Zinelabidine d’en parler, c’est la pluversalisation de la Tunisie pensée et vécue comme « esprit », « Zeitgeist » (l’esprit du temps), « présence au monde », etc à (im)penser. Cet aspect « pluriversel » ou cet « esprit » ou encore cette Tunisianité comme « présence au monde » ne nous semblent pas abordés, sur le plan des idées, par l’intellectualité subméditerranéenne, par exemple, intéressée par l’anthropologie philosophique, l’épistémologie « décoloniale », l’esthétique, l’éthico-politique, perçues et mobilisées par Zinelabidine à partir d’une pensée holistique acentrée. Acentrée parce que donnant souveraineté et prééminence nietzschéennes du « deviens ce que tu es ! », sur l’égarement et l’opacité de la « magistrature du vrai » dont on connait les olympiades de l’horreur qu’il lui est arrivé, qui lui arrive, d’orchestrer, sinon de légitimer. Le sous-titre nietzschéen dénote l’urgence de revisiter l’infini du monde et non sa clôture. Autrement dit, de réinvestir la « volonté de puissance » version un Nietzsche orphique. Un Nietzsche qui, en amoureux de « la merveilleuse civilisation maure d’Espagne », est le nom d’une généalogie de non la moralisation des logosphères philosophique, intellectuelle, culturelle, artistique…, monocentrées. Et l’auteur du Gai savoir, le musicologue un temps proche de Wagner, de Cosima et Lou Andréas-Salomé, nous rappelle celui de La Tunisianité au pluriversel (التونسية بمعنى الكونيات ), lui aussi musicien et musicologue…


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Cet opus de Zinelabidine se conjugue, donc, au pluriel, parce que dans son unité il exprime un plurivers, et vaut ainsi par deux noms polysémiques au moins : l’un, le pluriversel, et, l’autre, qui est singulier, c’est-à-dire la Tunisie réinscrite, elle, dans « le temps du monde » ou réinscrite précisément dans le processus de la Translatio Studiorum toujours renouvelée par l’auteur. Pourtant, si l’un ou l’autre nom constituent le sujet spécifique de ce livre, il en est un autre à peine mis en ellipse : à savoir la relation ou l’autre nom de la relation : soit ce que Zinelabidine appellerait l’impensé pluriversel ainsi convoqué aux retrouvailles du mythe au principe des sociétés non faustiennes et des sociétés à rationalité dystopique.


En conséquence, il ne s’agit pas de traiter de l’universel en Tunisie-métaphore du Zeitgeist planétaire, mais bien du pluriversel à l’œuvre dans le devenir-mondialité de la Tunisianité tissée à une histoire conjuguée et recomposée entre Orient et Occident, entre le « je pense, donc je suis » et le « je pense, donc nous sommes ». Cela veut dire ceci, que, chez Zinelabidine, la pensée au pluriversel rompt radicalement avec le discours identitaire, le désir mimétique, l’ipséité ou avec la monadologie version Leibnitz ou le conatus spinoziste déserté par l’ensemble des divinités.


Il ne s’agit pas, non plus, de la restauration de ces figures immobiles de l’identité ni de celles, morbides, de la fausse conscience, car le pluriversel n’est pas étranger à la Tunisie, et ne fait pas escale dans ce pays, en attendant de continuer son odyssée… Dès lors, il n’y a pas un pur pluriversel tunisien ; il n’y a que des pluriversels tunisiens au pluriel, et ce, du fait que la Tunisie est le nom donné par Zinelabidine à un Zeitgeist en phase avec le non partage du monde ainsi qu’avec la volonté logique et existentielle de « confluence » des différences vers et dans la construction d’une communauté du monde rhizomisée et faite de multiples remembrances et « appartenances ». C’est pour cette raison que la pluralité est, ici, l’effet d’un processus transculturel et trans-ontologique lié à l’histoire tunisienne, à l’histoire des temps du monde et à l’histoire des historicités des rapports de l’humanité avec le pluri-monde. En effet, le pluriversel s’est déroulé aussi en Afrique, en Europe, aux Amériques, en Asie, et au Maghreb et… en Tunisie.


La Tunisianité pluriverse ne se clarifie que dans son débat ou sa différence dialectique avec son Autre ou avec ses Autres, à savoir : les dogmatismes, l’identité aveugle – tous phénomènes critiqués et soumis à la question au travers des sept Epitres qui composent La Tunisianité au pluriversel.


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Le livre que voilà dit et profère une histoire et un temps présent avec ses priorités, ses espoirs, ses succès, ses ratages, ses intentions, ses inventions, et ses protentions, – et c’est ce dit, ou c’est cette profération, qui est au centre de la méthodologie holistique à l’œuvre dans les écrits de l’exote ou « étranger professionnel » qui a nom Mohamed Zinelabidine.

Se pose donc plusieurs questions dont celle du contexte nommé Tunisianité ainsi pluralisée et mise en phase avec le Zeitgeist sans frontières.


La première question c’est ; « D’où parle-t-on », c’est-à-dire d’où parle l’auteur ? Eh bien il parle à partir de plusieurs « esprits » qu’il recompose et tisse au caractère cosmopolitique de « l’impensé cœnesthésique » qui fait confluer l’ensemble des composantes de l’œkoumène, l’universus, qui fait confluence ; – la confluence est un concept qui traverse de part en part l’ensemble des écrits de notre auteur.


La deuxième question est la question du sujet : « Qui parle » ? C’est bien sûr l’auteur qui parle, mais c’est un auteur qui fait tout en faisant dérouler les strates (au sens deleuzien du terme) de son dire parce qu’il se pose toujours la question « Qui suis-je » ? Le « Qui suis-je ? », c’est l’effet, mais aussi ou la trajectoire possible, axiologique, futurologique, de la construction d’un autre sujet, ouvert, non épséitisé, un autre sujet qui fait éclater les dispositifs idéologiques, racistes, déshumanisant, etc., qui infectent les savoirs hérités et faussement « universels »…

La troisième question se rapporte à l’objet : « De quoi parle-t-on », ou précisément de « De quoi parle-t-il », c’est-à-dire, l’auteur ? Les éléments d’éclairages à apporter à cette question corrèlent avec la question de la « spécificité » que voici.


La quatrième question est, elle, relative à « La spécificité », autrement dit : « Qu’est ce qu’une Tunisianité au pluriversel » ? Peut-on définir cette spécificité ? La définition est toujours quelque chose de très ennuyeux du point de vue épistémologique, parce qu’on ne peut pas définir la définition qui définirait ce que « je » (ou ici l’auteur) suis en train de définir. Effectivement, plus « je » définis la spécificité, plus j’y plonge et interagis avec elle, plus « je » deviens ce qu’elle est, indéfinissable, et ce, du fait du travail de l’indexicalité (Bar Hillel, Harold Garfinkel) qui « me » condamne à faire « mien » le contexte qui produit la définition de la spécificité. Nonobstant ce que voilà, la question : « Qu’est-ce que la spécificité ? » ne ressortit point d’une espèce de cercle vicieux, et n’est guère un serpent qui se mord la tête… Pour faire court, pour Zinelabidine la réponse à cette question est indissociable de la question : « Qui suis-je ? », dans la mesure où il y a un lien organique entre : « Qui suis-je ? » et la labilité méthodologique de répondre à la question de la définition de la spécificité. « Où en sommes-nous ? Pourquoi le mouvement des idées bouge si fort en Occident (…) alors que nous autres, dans le monde culturel régional, immuable qui nous caractérise, très peu de réflexion est porté, et que d’appréhension sur les acceptions réversibles et transformationnelles de l’identité culturelle dans nos pays maghrébins, arabes, africains et musulmans ? Pourquoi cet entendement sur une identité pluriverselle, évolutive, pose-t-il problème ? C’est ainsi qu’il sera question de tenter ces interrogations au prisme de la pluriversalité des valeurs, afin d’apporte quelques éléments d’éclairages sur l’histoire des identités mutationnelles en Tunisie et autour d’elle, relativement à un contexte méditerranéen. »


L’idée directrice du passage cité érige le Zeitgeist version en boussole permettant de s’orienter dans/vers la « profération » aréale parce que senghorienne « rythmée par la loi du tam-tam » du monde pluriel, de cette pensée-monde née de la « confluence » de toutes les cultures constitutives du pluriversel mais non de la trahison de l’universel et de la modernité. Ainsi, le Zeitgeist immanent à l’idée directrice qui a nom Tunisianité est-il une profération poétique de l’universel sauvé de la trahison des Modernes et non plus une « définition » impérialement imposée à la Tunisianité. Celle-ci est une des « définitions » zinelabidinéennes, qui est une recherche d’un autre plurivers, car elle, la Tunisianité, est « présence au monde » et non « présence dans le monde ». La profération implique donc la multiplication des perspectives, la pluralité des interprétations et des propositions praxiques, c’est-à-dire, qui somme de passer à l’action. – Bref, elle n’implique pas exclusivement la primauté du multiple sur l’un, de « l’univers infini » sur le « monde clos », eût dit Alexandre Koyré. Elle implique également les questions indexicales que voici : à partir de quel « esprit du temps » la Tunisianité parle-t-elle ou de quel Zeitgeist l’auteur la fait-il parler ? Quel objectif vise-t-elle ?...




 

Bernadette Cailler, Carthage ou la flamme du brasier Mémoire et échos chez Virgile, Senghor, Mellah, Ghachem, Augustin, Ammi, Broch et Glissant, Rodop, Amsterdam - New York, NY 2007.


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