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Une lecture de La Tunisianité au pluriversel de Mohamed ZINELABIDINE (Deuxième partie)


Prof. Bouazza BENACHIR




Prof. Bouazza BENACHIR


Laboratoire Langues, Littératures, Arts et Cultures, Facultés des Université Mohammed V, Rabat, Maroc.

Laboratoire Littérature, Arts et Ingénierie Pédagogique, Université Ibn Tofail, Kénitra, Maroc.



 

Deuxième partie

 

La question de la Tunisianité peut se décliner ou fragmenter en quatre moments principaux :

-  Le premier moment c’est le lieu propre de l’« esprit » nommé Tunisianité : Où est-elle ? Il faut la postuler, la construire, dit Zinelabidine. La construire, c’est précisément une des objets saillants de La Tunisianité au pluriversel[1].

-  Le deuxième moment est celui de la question de la provenance : d’où vient la Tunisianité comme « esprit », « dichtung » ? Aréale, rhizomisée, elle vient de la « confluence » de toutes les cultures. Les cultures se rencontrant, se pollénisant, au niveau de la Tunisianité pluriversalisée. On passe ici de la Tunisianité à la pluversalité d’une « présence au monde » dénommée Tunisie. Il faut toujours avoir présent à l’esprit les processus de rhizomatisation propres à l’écriture de Zinelabidine. Rhizomatisation des concepts, du lexique, des démonstrations, des interrogations, et, enfin, de ce que nous avons précédemment appelé, à sa suite, les « confluences ». D’où vient la Tunisianité, donc ? Elle provient de ce que la Tunisie n’est pas seulement un carrefour interculturel ou l’autre nom d’un Maghreb au pluriel. Plus encore, elle est une forge existentielle, une usine de l’esprit ; une productivité réflexive indissociable de l’ailleurs, d’un ici devenant l’ailleurs, c’est-à-dire, d’un processus d’étrangement de l’identité, d’étrangement de l’être-au-monde, d’étrangement de la femme tunisienne, ou de la personne humaine tunisienne quelque soit son genre.


Le troisième moment a, lui, trait à la question : Quelle est la destination de la Tunisianité au pluriversel ? Vers quel destin et vers quelle finalité cette Tunisianité évolue-t-elle ? Parce que non adossée à un lieu-territoire fixe et donc rhizome premier d’un « Geist » et non d’un « Heimat » éternel et d’une identité statique, sans doute la Tunisianité-Geist marche-t-elle le regard tourné vers le pluriversel compris, chez Zinelabidine, comme rupture d’avec le « d’ou vient-elle ? ». En conséquence et schématiquement parlant, la reconfiguration du pluriversel proposée par le forçat des horizons qu’est notre auteur, constitue une rupture radicale avec toutes les formes de pulsion identitaire arc-boutée sur la glorification des origines. Pulsion d’autant plus triste qu’elle dénote une régression et un aveuglement épistémiques et culturels reproduisant la partition de l’humanité en sphères anthropologiques antagoniques programmées pour servir de carburant idéologique à la belligérance hobbésienne généralisée et au « développement du sous-développement » et donc à la perpétuation du « choc des civilisations » et au déni du désir d’être-ensemble cathartique et pacémiologique et, partant, non poléméologique, qui, tous, sont les moteurs de l’humanité à construire dans la perspective libérée des fantasmes meurtriers d’un Méphistophélès ubiquiste…


C’est au prisme du refus de ces fantasmes que Zinelabidine convoque la culture au pluriversel et se tourne vers l’invention d’une autre manière d’habiter le monde, d’un nouvel horizon épistémique et d’autres modalités des « transactions interculturelles » et futurologiques. En effet, cet auteur ne pense pas à partir du seul « symbiocène » (Glenn Albrecht) pour contribuer à la mise en perspective des conditions de possibilité de la sortie de la crise anthropo-politique et culturelles du vivre-ensemble. Mais encore, il propose un créneau épistémique adossé au mieux vivre au temps de l’anthropocène et du blocage du dialogue des cultures.


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D’où, entre autre, le fait que le refus de la fétichisation de l’histoire de la « Tunisianité » rime avec le rejet l’aliénocène (Frédérique Neyrat), et ce, parce que, d’une part, l’idée motrice de La Tunisianité au pluriversel est une critique de l’aliénation et parce que, d’autre part, l’auteur pense le pluriversel au prisme de la traversée et de la médiation qui mettent au jour la finalité de la Tunisianité qui, chemin faisant, se révèle être l’un des noms du Zeitgeist, à travers, tout ensemble, ses controverses, son approche critique, son ouverture sur la pensée du monde, ses bibliothèques pluriverses, les différentes dimensions de « l’impensé ». – La traversée étant, chez Zinelabidine, étant une critique de la forclusion du « sujet » « impensé » ; forclusion qu’il propose de casser, pour la reconfigurer, la transmuter, afin que le « sujet » en question devienne maître de son destin et de son autonomie tout autant que de son désir acculturé au « passions joyeuses » et au temps du monde. Il s’ensuit que la Tunisianité est l’effet d’un cosmopolitisme holistique pluralisé, non identitaire, diversaliste. Pour le dire autrement, La Tunisianité au pluriversel est articulée autour d’un « esprit » et d’une géopolitique du savoir à revisiter. Sans entrer dans les détails, les déclinaisons de la Tunisianité ainsi devenue concept, réfère à Zeitgeist transculturel qui a nom Carthage[2], l’autre nom de la Tunisianité pluriverse, c’est-à-dire, les uns des noms de « nous-mêmes » ou du Maghreb ou encore de la mondialité à faire. Quand je lis Mohamed Zinelabidine, « je » me lis, « je » lis les cultures au temps du monde. Carthage, ou cet autre nom de la Tunisianité, ou encore cette fille aînée de la Méditerranée, est la cité-esprit à venir, à rêver, à dire, parce qu’en phase avec ses figures tutélaires, ses imaginaires, ses dispositifs de savoir, de l’art, de la sensualité, auxquelles ce nom est lié et qui quoiqu’il ait cessé de les (les figures tutélaires) dire, est condamné à les redire et les affirmer à travers un penser autrement. Quid de ces figures tutélaires ? Les énumérer serait fastidieux. Baal et les emblèmes de la mythologie et du Panthéon de la culture de l’Ifrikya, Virgile, Saint Augustin, Apulée, Platon, Aristote, Hannibal, Didon, Massinissa, Jugurtha, Ibn Khaldoun, Tahar Haddad, Aboulkacem Chebbi, Flaubert[3], Edouard Glissant[4], Senghor[5]


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Dans cette constellation zinelabidienne-stravisnkyenne, il est question de penser l’impensé sans terre de la tension de la Tunisianité vers un pluriversel féerique, dionysiaque, coruscant, qui fait musiquer la Tunisie-esprit et qui n’opacifie pas les « confluences » diverses et multiples de l’ensemble des civilisations à l’œuvre au sein de la « chaosmose » être-ensembliste des partitions épicuriennes des « appartenances » anthropologiques et existentielles des personnes humaines au monde.


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En forçat de « impensé », Zinelabidine convoque Marx et Nietzsche. Avec l’auteur du Kapital, il convoque[6] la Thèse 11 des Thèses sur Feuerbach : « Les philosophes ne font qu’interpréter le monde, il s’agit de le transformer ». Quant à Nietzsche, l’auteur, en convoquant le démiurge de Sils Maria,  il mobilise la notion de « volonté de puissance » et la met, non au service du « sur-homme », mais de la personne humaine tout court ; ou ce que notre auteur appelle ses « appartenances » puisqu’il est lui-même et les Autres en même temps, - autrement dit, l’auteur est un sujet altruisé.


Si le pluriversel version maghrébine, par exemple, est désorienté, il est appelé à être remembré de manière à ce qu’il embraie le processus pan-culturel et créatif d’une communauté du monde partagée et adossée impérativement au décentrement de l’identité, et cela, pour libérer les humains et l’universel de leurs démons.


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La pensée holistique de Zinelabidine se supporte de ceci, qu’elle est une vision étrangère à toutes les « appartenances », un projet intégrant l’ensemble des sphères du monde pour faire monde et humanité. L’urgence de la réalisation du projet que voilà nous initie à ce que Mohamed Zinelabidine inaugure de l’événement en cours de l’acte de penser autrement des humains et les autres vivants comme « présence au autres monde », et pose que, là où étaient « les questions identitaires »[7], la pensée de son « impensé » au pluriversel doit advenir… D’où l’éclatement heuristique rhizomatique de la combinaison transversale de l’attelage oxymorique Tunisianité/Pluriversel ou identité/universalité. Ainsi rhizomisée, c’est dans ce sens que se doit d’être approchée la primauté, chez notre auteur tunisien, de l’action sur la seule théorie. « C’est dans ce sens [celui de la Thèse 11 sur Feuerbach déjà citée] que je voudrais que le présent ouvrage soit un manifeste pour interroger mes ‘appartenances’ plurielles à « La Tunisianité’, comme présence au monde, sans fixité. »[8] Ainsi parle Mohamed Zinelabidine. L’avons-nous bien écouté ou entendu ? 




 

Bernadette Cailler, Carthage ou la flamme du brasier Mémoire et échos chez Virgile, Senghor, Mellah, Ghachem, Augustin, Ammi, Broch et Glissant, Rodop, Amsterdam - New York, NY 2007.


 

Notes


[1] Mohamed Zinelabidine, La Tunisianité au pluriversel. « Deviens ce que tu es ! » Ainsi parlait Nietzsche, préface de Fathi Triki, Présentation de Françoise Brunel, Tunis, Editions Sotumédias, 2024.

[2] Bernadette Cailler, Carthage ou la flamme du brasier Mémoire et échos chez Virgile, Senghor, Mellah, Ghachem, Augustin, Ammi, Broch et Glissant, Rodopi, Amsterdam - New York, NY 2007.

[3] Gustave Flaubert, Salammbô.

[4] Edouard Glissant, « Carthage », in Sel Noir (1960).

[5] Léopold Sédar Senghor, « Elégie de Carthage », art . cit.

[6] La tunisianité au pluriversel, op. cit., p.16.

[7] Ibid., p. 67.

[8] Idem, p. 16.

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